Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

jeudi 30 juillet 2009

L’Afrique telle qu’elle s’écrit, dans « Courrier International »


Une bonne surprise en kiosque cette semaine. Courrier International consacre un dossier de douze pages à l’Afrique, sous un angle littéraire. Pas de raison de passer à côté : ce numéro d’été est disponible pendant trois semaines…

En plus de la traditionnelle revue de presse sur laquelle est fondé l’hebdomadaire – en l’occurrence, il s’agit d’articles de l’écrivain et journaliste kényan Binyavanga Wainana dans Granta (Londres), du Nigérian Wole Soyinka dans The News (Lagos) et de sa compatriote Chimamanda Ngozi Adichie dans The Guardian (Londres) –, Courrier International donne carte blanche à « quelques-unes des plus belles plumes du continent », à savoir : l’incontournable Alain Mabanckou (Congo-Brazzaville), le désormais classique Abdourahman Waberi (Djibouti) et le plus inattendu Crispin Oduobuk MfonAbasi (Nigeria).

L’occasion de lire des auteurs connus en-dehors de leurs seuls romans, ou d’en découvrir d’autres. Le tout est accompagné de photos de quatre photographes africains, alors que le journal est généralement plutôt « branché » dessin de presse. Enfin, pour compléter « l’offre papier », un complément Web comprend des entretiens avec Mabanckou et Waberi : c’est sur CourrierInternational.com.

On regrettera seulement que les concepteurs du dossier n’aient pas eu la bonne idée d’indiquer, « pour aller plus loin », les adresses de blogs de lecteurs dédiés à la littérature africaine… ;-)

Bon, c’était bien d’en parler. Il me reste maintenant à le lire…

Courrier International
n°978-979-980, du 1er au 19 août
5,50 euros

mardi 28 juillet 2009

Auguste Léopold Mbondé en lice pour le prix Senghor 2009


L’écrivain camerounais Auguste Léopold Mbondé a été sélectionné, avec son roman Sikè (Vents d’ailleurs), pour le prix Senghor de la créativité littéraire. Créé en 2006, ce prix a pour objectif de « distinguer et promouvoir des écrivains d’expression française débutants qui ont réussi à créer des œuvres de beauté, rythmées de leur propre vie, chargées d’humanité, expressives d’un langage neuf et d’harmonies originales ».

Résumé de Sikè par l’éditeur : « Un père prend la main de sa petite fille métisse, Sikè, née en France. Pour transmettre ce qu’il a reçu de ses parents, il rassemble les bouts de sa propre histoire, celle de sa famille, de sa culture sawa-duala. La mémoire s’éveille, les souvenirs surgissent et s’empilent : tableaux, portraits et impressions émergent. Des personnages insolites, réels ou invraisemblables, adultes et enfants se pressent, durs ou bienveillants ; des faits mythiques se mêlent à ceux tendres et cruels du Cameroun actuel. »

Sikè est le premier roman d’Auguste Léopold Mbondé. Les autres livres en lice pour le prix Senghor 2009 sont : Kiffer sa race, de Habiba Mahany (France-Algérie) ; Les Carnets de Douglas, de Christine Eddie (Québec) ; Punchlines, de Chrisophe Gros-Dubois (France) ; Leila ou la Femme de l’aube, de Sonia Chamkhi (Tunisie) ; La Fille de Carnegie, de Stéphane Michaka (France) ; Les Récidivistes, de Laurent Nunez (France) ; Dis oui, Ninon, de Maud Lethielleux (France) ; Saint-Denis bout du monde, de Samuel Zaoui (France-Algérie) ; Du bon usage des étoiles, de Dominique Fortier (Québec) ; Les Derniers de la rue Ponty, de Sérigne M. Guèye (France-Sénégal), plus connu sous son nom de rappeur Disiz La Peste.

Le prix sera remis le 10 octobre 2009 à 18 h 30 au Musée de la Poste (Paris-15ème), dans le cadre du 14ème salon du livre de la Plume noire.

A lire :
Sikè
d’Auguste Léopold Mbondé
Vents d’ailleurs, 2009
176 p., 15 euros


Actualisation du 12 octobre 2009 : C'est finalement Christine Eddie (Québec) qui a remporté le prix Senghor, avec Les Carnets de Douglas (éd. Héloïse d'Ormesson).

Moussa Konaté


Moussa Konaté est né en 1951 à Kita, au Mali. Diplômé en lettres de l’Ecole normale supérieure de Bamako, il a enseigné plusieurs années le français, au lycée, avant de se consacrer à l’écriture. Après avoir quitté la fonction publique malienne, il publie en 1981 son premier roman, Le Prix de l’âme ; petit à petit se met alors en place un embryon d’œuvre comprenant des romans, des nouvelles (Le Casier judiciaire), des pièces de théâtre, (Un appel de nuit), des essais (Mali : ils ont assassiné l’espoir), des contes (Sitan, la petite imprudente)…

En 1997, Moussa Konaté devient le premier écrivain éditeur du Mali en créant les éditions Le Figuier, qui œuvrent à la diffusion du savoir au sein du monde rural à travers des publications en langues nationales du Mali. Influent ambassadeur de la littérature de son pays, il est codirecteur du festival Etonnants Voyageurs de Bamako.

Touche-à-tout au style simple mais précis, Moussa Konaté s’est tourné vers le polar dans ses derniers romans : L’Assassin du Banconi suivi de L’Honneur des Keita (2002), L’Empreinte du renard (2006) et La Malédiction du Lamantin (2009) s’attachent à suivre le duo d’enquêteurs formé par le commissaire Habib et l’inspecteur Sosso, à la découverte des cultures maliennes.

Moussa Konaté partage aujourd’hui son temps entre Bamako et Limoges, où il a créé en 2006 la maison d’édition Hivernage.

A lire :
Le Prix de l’âme, Présence africaine, 1981
Une aube incertaine, Présence africaine, 1985
Fils du chaos, L’Harmattan, 1986
Chronique d’une journée de répression, L’Harmattan, 1988
Les Saisons, Samana, 1990
Goorgi, Le Figuier, 1998
L’Assassin du Banconi
suivi de L’Honneur des Keita, Gallimard, 2002
L’Empreinte du renard, Fayard Noir, 2006
La Malédiction du Lamantin, Fayard Noir, 2009

vendredi 24 juillet 2009

« La Malédiction du Lamantin », de Moussa Konaté


Je n’avais encore jamais eu l’occasion de lire de polar africain. Avec La Malédiction du Lamantin, de l’écrivain malien Moussa Konaté, c’est une bonne entrée en matière. J’ai refermé le livre il y a maintenant deux semaines, je n’en ai plus un souvenir très frais, mais je vais essayer d’en dire quelques mots.

Au lendemain d’une nuit d’orage, deux corps sont découverts sur l’îlot de Kokrini, au bord du fleuve Niger, près de Bamako. Il s’agit de Kouata, le vieux chef, et de sa deuxième coépouse, Nassoumba. Pour les habitants de Kokrini, membres de l’ethnie bozo, cela ne fait aucun doute : ils ont été foudroyés par la volonté de Maa, le Lamantin, le dieu du fleuve, auquel les Bozos sont liés par un pacte depuis des siècles – un pacte brisé.

Pour le commissaire Habib Keita et son jeune inspecteur Sosso, dépêchés sur place, c’est moins sûr. Si Kouata semble avoir succombé à un arrêt cardiaque, impossible de ne pas voir que le corps de Nassoumba présente deux coups de couteau qui n’ont rien ni de naturel… ni de surnaturel. Les deux policiers mènent donc l’enquête et celle-ci les mènera autant à l’origine du crime qu’à la rencontre des coutumes des Bozos, malgré les réticences de ces derniers, qui craignent que cela attire sur eux la colère de Maa. Une nouvelle découverte bienvenue d’une composante de la population malienne, après L’Empreinte du renard (2005), où le commissaire Habib et l'inspecteur Sosso menaient leurs investigations en pays dogon.

A travers cette intrigue simplement mais efficacement ficelée, et dans un style sans fioritures, Moussa Konaté réussit le grand écart parfait entre tradition et modernité. La première est bien sûr incarnée par les Bozos, cette ethnie malienne musulmane dont les croyances restent teintées d’animisme et dont les chefs sont toujours respectés des nouvelles autorités politiques du pays. La seconde, c’est le commissaire Habib, éduqué à « l’école des Blancs » : un modèle de rationalité, mais aussi d’ouverture et de compréhension ; un modèle qui, on le découvrira au fil de l’enquête, a aussi ses limites et ses inconvénients.

Le grand écart parfait, disais-je. Pourquoi parfait ? Le dénouement de l’enquête vous le dira. Mais sans rien dévoiler ici, je peux quand même dire que Moussa Konaté répond brillamment à la question qu’on ne manque pas de se poser au fur et à mesure que l’enquête avance : Comment l’auteur tranchera-t-il entre la raison et la superstition ? De ce dangereux exercice d’équilibriste, il sort indemne et sans une crampe. Bref, La Malédiction du Lamantin est une lecture idéale pour occuper quelques heures de l’été.

La Malédiction du Lamantin
de Moussa Konaté
Fayard Noir, 2009
213 p., 15,90 euros

D'autres chroniques de La Malédiction du Lamantin sur les blogs Action-Suspense, Just Read It ! et Actu du Noir...

jeudi 23 juillet 2009

Sembène Ousmane


Sembène Ousmane est né en 1923 à Ziguinchor, au Sénégal (Casamance), et mort en 2007 à Dakar. Autodidacte, il n’a connu dans sa jeunesse que l’école coranique et l’école française, avant d’être mobilisé comme tirailleur sénégalais par l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après un bref retour au Sénégal, il embarque clandestinement pour la France, où il enchaîne les petits boulots : mécano, maçon, ouvrier… Il travaille notamment au port de Marseille comme docker, pendant dix ans. Sa condition de travailleur le mène alors au syndicalisme et à l’engagement politique : il adhère à la CGT et au Parti communiste. Ce militantisme imprègnera l’ensemble de son œuvre, d’écrivain comme de cinéaste.

L’écrivain. Son premier roman, Le Docker noir (1956), s’inspire de son expérience marseillaise. Plus tard, Les Bouts de bois de Dieu (1960) s’inscrivent dans la même veine, résolument engagée aux côtés des exploités. Une dizaine de romans constituent l’œuvre littéraire de Sembène Ousmane, qui tenait à les signer en inversant ses nom et prénom (Sembène Ousmane au lieu d’Ousmane Sembène), en écho à la l’appellation coloniale, et avec ce message : « Je réécrirai mon nom à l’endroit le jour où les rues de Dakar ne porteront plus de noms français. »

Le cinéaste. En 1960, le Sénégal acquiert son indépendance mais les rues ne changent pas de nom. Sembène Ousmane rentre en Afrique, voyage dans divers pays du continent – Mali, Guinée, Congo – et commence à songer au cinéma. Un an plus tard, le voici dans une école de cinéma de Moscou et, en 1962, il réalise son premier court-métrage, Borom Saret (« le charretier »). En 1966, son premier long-métrage, La Noire de… (qui est inspirée d’une nouvelle du même nom parue dans le recueil Voltaïque en 1962) fait de lui un pionnier du cinéma africain et obtient le prix Jean-Vigo. En 1968, c’est la consécration, avec Le Mandat (un autre film inspiré d’un de ses romans), couronné par le Prix de la critique internationale du Festival de Venise. En 1969, Sembène Ousmane crée le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). En dépit de relations difficiles avec le pouvoir sénégalais incarné par le « poète-président » Léopold Sédar Senghor, le réalisateur tournera une quinzaine de films.

La critique historique, sociale et politique est au cœur de l’œuvre de Sembène Ousmane, qui recevra les insignes d’officier de la Légion d’honneur de la République française, en 2006, avant de s’éteindre à son domicile de Yoff, à Dakar, le 9 juin 2007.

A lire :
Le Docker noir, Debresse, 1956
Ô Pays, mon beau peuple, Amiot-Dumont, 1957
Les Bouts de bois de Dieu, Le Livre contemporain, 1960
Voltaïque, Présence africaine, 1961
(nouvelles)
L’Harmattan, Présence africaine, 1963
Le Mandat
suivi de Vehi Ciosane, Présence africaine, 1966
Xala, Présence africaine, 1973
Le Dernier de l’empire, L’Harmattan, 1981
Guelwaar, Présence africaine, 1982
Niiwam
suivi de Taaw, Présence africaine, 1987

Photo © Abdou Fary Faye

Sources : Wikipedia, Sénégalaisement, Africultures

mardi 14 juillet 2009

« Les Bouts de bois de Dieu », de Sembène Ousmane


Quand on tombe sous le charme d’un auteur à la lecture d’un premier livre, on a souvent peur d’être déçu par les suivants. J’avais adoré L’Harmattan (1964), de l'écrivain et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane : mon premier pas vers la littérature africaine. Alors que je n’avais de connaissance « sensible » de l’Afrique que les films ramenés par mon grand-père, dans les années 1950, de ce qu’on appelait alors l’Oubangui-Chari, j’imaginais au cours des pages de ce roman la moiteur de l’Afrique, elle s’imprégnait en moi petit à petit, chapitre après chapitre.

Je n’ai pas trouvé cette touffeur au Sénégal, quelques semaines plus tard, en pleine saison sèche. Et en fait, l’intrigue de L’Harmattan n’avait pas lieu au Sénégal, ni même dans aucun autre pays d’Afrique – plus précisément, le récit se déroule dans n'importe quel pays d'Afrique de l'Ouest, mais ceci est une autre histoire. Si je dis cela, c’est que Sembène Ousmane est de ces écrivains à la plume rare, dotés d’un don pour la description qui dépasse les mots : il en dit beaucoup, on en comprend, on en « ressent » beaucoup plus ; car Sembène Ousmane nous fait « sentir » ce qu’il raconte ; et peu importe que cette « sensation » soit stimulée par son seul art de la narration, ou alimentée par une expérience, un vécu, des souvenirs que la lecture fait resurgir. Dans Les Bouts de bois de Dieu (1960), la sécheresse et la poussière sont omniprésentes.

J’avais adoré L’Harmattan, disais-je. J’avais ensuite lu, dans l’ordre, le recueil de nouvelles Voltaïque (1962), puis un roman assez bref, Le Mandat (précédé de Vehi Ciosane, 1966), qui ne m’avaient pas fait autant d’effet. Ce n’est pas le cas des Bouts de bois de Dieu, qui m’ont transporté. Peut-être le talent, la force de l’écrivain sénégalais prennent-ils toute leur envergure dans les textes longs ?

L’histoire s’inspire d’un fait historique réel : la grève des 20 000 cheminots de la ligne Dakar-Niger, en 1947, afin d’obtenir les mêmes droits que leurs homologues français. A Bamako, à Thiès, à Dakar, les travailleurs et leurs familles se mobilisent pour organiser la résistance face à une administration coloniale qui prend leurs revendications pour des caprices d’enfants.

S’il est un écrivain en Afrique qui peut se rattacher à la grande tradition du roman social du XIXème siècle, c’est bien Sembène Ousmane. En lisant Les Bouts de bois de Dieu, on pense à Zola ; moins à La Bête humaine qu’à Germinal (malgré la locomotive). On y rencontre des grévistes en proie au doute quant à la meilleure façon de mener la grève – comment faut-il se comporter à l’égard des « jaunes » ? – et des femmes qui se démènent pour apporter eau et nourriture au foyer, qui se font justice elles-mêmes, n’ont pas peur d’en découdre avec les forces de l’ordre et qui, surtout, apportent un soutien indéfectible à leurs époux.

Le rôle des femmes, c’est d’ailleurs un des thèmes majeurs de ce roman. Je suis tombé récemment sur une phrase du cinéaste polonais Andrzej Wajda qui, évoquant la grève des chantiers navals de Gdansk, en 1980, disait : « Les ouvriers n’auraient jamais gagné sans l’appui et la lucidité de leurs femmes. » C’est vrai aussi de Bamako, Thiès et Dakar. La différence est qu’en l’occurence, Sembène Ousmane fait état d’un bouleversement dans la société sénégalaise où, pour la première fois, les femmes prennent la parole en public et ouvrent la marche – au propre comme au figuré puisqu’elles iront à pied de Thiès à Dakar pour se faire entendre des autorités.

De fait, Les Bouts de bois de Dieu décrivent une région, une civilisation, en mutation, partagées qu’elles sont entre méfiance et attirance vis-à-vis de la modernité occidentale. A Dakar, Ndèye Touti, qui est allée à l’école des Blancs, se rêve un destin d’héroïne de roman français, mais ses illusions disparaissent quand elle surprend la conversation pleine de mépris de « toubabs » « amis de l’Afrique ». A Bamako, Tiémoko, le responsable local de la grève, ne sait comment arbitrer entre la sagesse des anciens et les préceptes syndicaux. Enfin, Bakayoko, leader charismatique du mouvement d'un bout à l'autre de la ligne, se voit obligé de sacrifier les usages africains à l’intransigeance de sa mission, tout en s’indignant de devoir parler français pour négocier…

Du point de vue du colonisateur aussi, des changements interviennent à cette époque. C’en est fini d’une certaine « Afrique de papa », et les vieux de « la colo » peuvent mettre au placard leur paternalisme méprisant. Une nouvelle génération de « colonisés » émerge alors, moins soumise, mieux informée, plus revendicatrice. Pas forcément plus radicale car, en toile de fond, Sembène Ousmane délivre ce message : « Heureux est celui qui combat sans haine. » La morale de l'histoire finit de faire des Bouts de bois de Dieu un grand, un très grand roman.

Les Bouts de bois de Dieu
de Sembène Ousmane
Le Livre contemporain, 1960
en édition Pocket, 379 p., 5 euros

Lire aussi la chronique de la pièce de théâtre tirée du roman chez Gangoueus.

samedi 11 juillet 2009

« La Condition noire », de Pap Ndiaye


Par Liza Rives

On a vu, chez Alain Mabanckou par exemple, ou plus encore chez Léonora Miano, que la question de la couleur de peau pouvait être – et était souvent – au cœur de la littérature africaine, notamment chez les auteurs vivant loin de l’Afrique. Sous un angle tout autre – scientifique et non littéraire –, l’historien Pap Ndiaye s’est penché sur cette « question noire » en France. Pour « Encres noires », Liza Rives, diplômée de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialisée en sociologie de l’immigration, a lu son essai, intitulé La Condition noire. Résumé et commentaires.



L’ouvrage de Pap Ndiaye, intitulé La Condition noire, Essai sur une minorité française, ouvre un champ d’étude encore peu exploité en France, celui de l’observation et de la compréhension « des réalités sociales présentes et passées des Noirs en France ».

Mais que signifie l’expression « les Noirs en France » ? Pap Ndiaye la définit avec beaucoup de clarté, remettant en cause toute notion qui pourrait faire le jeu d’arguments ethnicisants. Etre noir, selon l’historien, ce n’est pas le fait de partager une culture et encore moins une nature, mais l’expérience commune d’être considéré comme un Noir. Etre noir est ainsi le résultat d’une expérience sociale.

Dans une perspective de déconstruction, il explique par ailleurs, avec beaucoup d’intelligence, toutes les notions utilisées dans son titre. Pourquoi parle-t-il de minorité noire plutôt que de communauté par exemple ? Parce que la communauté, notion particulièrement utilisée dans la société américaine, encadre un groupe politiquement organisé et institutionnellement reconnu et qu’être noir en France métropolitaine n’a pas la même implication. Être noir en France ne reflète pas des liens culturels communs, ni un choix identitaire, encore moins une reconnaissance institutionnelle, mais une assignation identitaire. Être noir en France, c’est donc le partage d’une expérience sociale par un groupe : la minorité.

La référence à la recherche américaine est essentielle dans cet essai. Outre-Atlantique, les sciences humaines ont depuis longtemps étudié les processus de catégorisation des Noirs, alors qu’en France l’ouvrage de Pap Ndiaye reste précurseur dans ce domaine. En effet, en France l’absence d’évaluation quantitative de cette population, la crainte de l’essentialisation d’un groupe, la place centrale de la question des classes sociales dans les sciences humaines ont longtemps passé sous silence, entre autres, l’étude de la population noire.

Malgré ces cadres de pensée traditionnels de la recherche française, la comparaison avec le développement des sciences humaines américaines relatives à la population noire, ainsi qu’une étude menée auprès d’hommes et de femmes noirs en France, permettent à l’auteur de suggérer de nouveaux champs d’étude à exploiter : le colorisme, l’histoire de la population noire, la construction du racisme anti-noirs ou encore l’histoire et les principes théoriques de la solidarité noire en France. Si la comparaison est un outil qui permet de mettre au jour les ressemblances, elle pointe aussi les dissemblances. Ainsi Pap Ndiaye explique, tout au long de cet essai thématique et non historique, de quelle manière ces objets d’étude, autrement dit les black studies, doivent s’appréhender à travers la spécificité de la société française.

La Condition noire, Essai sur une minorité française
de Pap Ndiaye
Calmann-Lévy, 2008
370 pages, 21,50 euros



Pap Ndiaye est maitre de conférence en histoire et membre du Centre d’études nord-américaines à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Agrégé d’histoire, il a poursuivi une partie de ses études aux Etats-Unis, notamment à l’université de Pennsylvanie. Dans un premier temps, ses travaux de recherche se sont concentrés dans le domaine de l’histoire des professions et des techniques aux Etats-Unis ; aujourd’hui, l’historien se penche sur diverses questions relatives aux populations noires aux Etats-Unis et en France.

vendredi 10 juillet 2009

Abdourahman A. Waberi


Abdourahman Ali Waberi est né en 1965 à Djibouti. A 20 ans, il quitte son pays (devenu indépendant en 1977) pour poursuivre des études d’anglais en France, à Caen et à Dijon. Ecrivain et professeur d’anglais, il a consacré une thèse à l’écrivain somalien de langue anglaise Nuruddin Farah.

Son premier ouvrage, Le Pays sans ombre, est paru en 1994. Constitué de courts textes – contes, légendes, récits documentaires et extraits d’articles de journaux –, ce recueil de nouvelles fait se superposer un pays imaginaire, mythique, et un pays réel en prise directe avec l’actualité politique. Un deuxième recueil, Cahier nomade, paraît en 1996, puis Abdourahman Waberi livre son premier roman, Balbala (1997). Ces trois ouvrages forment une trilogie intitulée « Tentative de définition de Djibouti ».

Depuis, d’autres livres ont suivi, Abdourahman Waberi alternant recueils de nouvelles et romans, ainsi qu’une œuvre-témoignage sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (2000). Marquées par une écriture très libre et riche en métaphores, où la fable côtoie une critique politique virulente, les fictions de Waberi s’inscrivent dans la continuité d’une production poétique baignée par l’atmosphère et les paysages de la Corne de l’Afrique.

A lire :
Le Pays sans ombre, Le Serpent à plumes, 1994
Cahier nomade, Le Serpent à plumes, 1996
Balbala, Le Serpent à plumes, 1998
Moisson de crânes, Le Serpent à plumes, 2000
Rifts, routes, rails, Gallimard, 2001
Transit, Gallimard, 2003
Aux Etats-Unis d’Afrique, Lattès, 2006
Passage des larmes, Lattès, 2009