Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

jeudi 13 août 2009

Quelques romans de la rentrée littéraire 2009


Il est temps pour moi de prendre des vacances
que, selon la formule consacrée, je juge « bien méritées »… Mais pour ne pas partir comme un voleur, je vous soumets quelques propositions de lectures : parmi la vague de romans annoncés pour la rentrée littéraire, en voici trois dont les échos – de bons échos, autant le dire – sont parvenus jusqu’à mes oreilles.

Haïti est à l’honneur, avec Yanvalou pour Charlie, de Lyonel Trouillot, et L’Enigme du retour, de Dany Laferrière, roman écrit en vers libres. Le troisième est Passage des larmes, de l’écrivain djiboutien Abdourahman Waberi.

Yanvalou pour Charlie
de Lyonel Trouillot
Actes Sud, 2009
176 p., 18 euros
A paraître le 19 août

Présentation de l’éditeur :
Au prix du cynisme, Mathurin D. Saint-Fort a cru pouvoir effacer de sa mémoire les souffrances d'un passé qu'il s'emploie à renier pour se placer toujours davantage du bon côté de l'existence. Jusqu'au jour où fait irruption dans la vie de l'avocat ambitieux qu'il est devenu, un adolescent loqueteux. Charlie, en absolue détresse, vient lui demander de l'aide au nom des attachements de jadis.




L’Enigme du retour
de Dany Laferrière
Grasset, 2009
300 p., 18 euros
A paraître le 2 septembre

Présentation de l’éditeur :
On retrouve dans ce livre le personnage de l'écrivain qui ne fait apparemment rien que prendre des bains dans son appartement à Montréal. Un matin, on lui téléphone : son père vient de mourir. Son père qui avait été exilé d'Haïti par le dictateur Papa Doc, comme le narrateur, des années plus tard, l'avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc. C'est l'occasion pour lui d'un voyage initiatique à rebours. Il part d'abord vers le Nord, comme s'il voulait paradoxalement fuir son passé, puis gagne Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d'un neveu, il parcourt son île natale dans un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui le mène sur les traces de son passé, de ses origines. Mais revient-on jamais chez soi ?


Passage des larmes
d’Abdourahman A. Waberi
JC Lattès, 2009
250 p., 17 euros
A paraître le 26 août

Présentation de l’éditeur :
Djibril a quitté Djibouti depuis de longues années. A Montréal, il est devenu un homme neuf : le pays de son enfance n’est plus pour lui qu’une terre étrangère, poussiéreuse, un terrain vague. Employé par une agence de renseignement, il doit pourtant y retourner pour une mission de quelques jours. Djibouti est devenu un enjeu géostratégique majeur : la France, les Etats-Unis, Dubaï, les islamistes se disputent ce morceau de basalte. Les plaies s’ouvrent, les fantômes des siens viennent le hanter, son enquête piétine. Chaque jour, il se laisse entraîner sur les chemins dangereux de la mémoire. De sa prison cachée sur les îlots du Diable, au large de Djibouti, Djamal, le frère jumeau de Djibril, a appris le retour de son aîné prodigue : il le suit en pensée où qu’il aille, l’interpelle, ne le laisse pas en paix. On ne revient pas impunément sur les traces de son passé.


Haïti, Montréal, le passé, la mémoire, l’exil… Autant de points communs, de passerelles entre ces trois romans !

Sur cette dernière réflexion, je me retire et vous donne rendez-vous ici-même en septembre. Bel été !

mardi 11 août 2009

Williams Sassine


Williams Sassine est né en 1944 à Kankan, en Guinée-Conakry, d’un père libanais et d’une mère guinéenne. Cet ingénieur en écologie tropicale et docteur en mathématiques a vécu en exil, notamment en Mauritanie, de 1963 à 1984, fuyant la dictature d’Ahmed Sékou Touré. Il travaille comme professeur de mathématiques, tout en écrivant des romans, dont le premier, Saint Monsieur Baly, paraît en 1973.

A la mort de Sékou Touré, en 1984, Williams Sassine rentre en Guinée et collabore à plusieurs périodiques : Le Lynx, hebdomadaire satirique, La Guinée-Djama, bimensuel d’information, L’Educateur, trimestriel pédagogique.

Métis, il a rapidement pris conscience de son altérité au sein de la société africaine, si bien que la notion de marginalité colle à l’œuvre de Williams Sassine. En mettant au premier plan exclus et marginaux, il dresse un bilan très pessimiste d'une « Afrique en morceaux ». Le ton tragique des premiers romans fait place, après son retour en Guinée, à une veine plus satirique et burlesque.

Williams Sassine a été fait chevalier des Arts et des Lettres en 1983 et officier des Arts et des Lettres en 1993. Il est mort en 1997 à Conakry.

A lire :
Saint Monsieur Baly, Présence africaine, 1973
Wirriyamu, Présence africaine, 1976
Le Jeune Homme de sable, Présence africaine, 1979
L’Alphabète, Présence africaine, 1982
(contes)
Le zéhéros n’est pas n’importe qui, Présence africaine, 1985
L’Afrique en morceaux, Le Bruit des autres, 1994
(nouvelles)
Légende d’une vérité, Le Bruit des autres, 1995 (théâtre)
Mémoire d’une peau, Présence africaine, 1998

Photo © FIFL

Sources : Les Francophonies en Limousin, Africultures, Larousse

vendredi 7 août 2009

Yanick Lahens et Kossi Efoui finalistes du prix des Cinq continents de la Francophonie


L’Organisation internationale de la Francophonie a dévoilé la liste des dix auteurs finalistes
pour le prix des Cinq continents de la Francophonie, qui récompense « un roman d’un écrivain témoignant d’une expérience culturelle spécifique enrichissant la langue française ». Parmi eux figurent l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens, avec La Couleur de l’aube (éditions Sabine Wespieser, 2008), et l’écrivain togolais Kossi Efoui, avec Solo d’un revenant (Seuil, 2008).

La Couleur de l’aube
de Yanick Lahens
Sabine Wespieser, 2008
218 p., 20 euros


Présentation de l’éditeur :
Angélique se lève tous les matins la première, dans la petite maison des faubourgs de Port-au-Prince qu’elle partage avec sa mère, sa sœur Joyeuse, et son jeune frère Fignolé. Dans l’aube grise de février, l’inquiétude l’étreint : Fignolé n’est pas rentré et toute la nuit les tirs n’ont cessé de gronder au loin... Au fil de la journée et de leur enquête, Angélique et Joyeuse, en réalité les deux visages du même désespoir, dessinent de la ville une géographie apocalyptique. Fignolé, militant déçu du parti des Démunis, s’est perdu dans les méandres d’une impossible lutte, dans les hasards du désordre absolu.


Solo d’un revenant
de Kossi Efoui
Seuil, 2008
206 p., 17 euros

Présentation de l’éditeur :
Le narrateur revient dans son pays après dix ans de massacres. Ce faisant, il cherche à comprendre comment son ami Mozaya est mort, et à retrouver un certain Asafo Johnson avec lequel il avait fondé une troupe de théâtre en ses années d’étudiant. La vie renaît, hantée par de vieilles et mortelles litanies, ces phrases-talismans qui se recourbent sur elles-mêmes comme la queue du scorpion.

Solo d’un revenant a déjà décroché le prix Tropiques et le prix Ahmadou-Kourouma.


Les autres livres sélectionnés pour le prix des Cinq continents sont : La Beauté du poulpe, de Jean-Louis Serrano (France) ; Le Ciel de Bay City, de Catherine Mavrikakis (Québec) ; Juste avant l’hiver, de Françoise Henry (France) ; Nous autres, de Stéphane Audeguy (France) ; L’Origine de la violence, de Fabrice Humbert (France) ; Les Ruines du ciel, de Ramy Khalil Zein (Liban) ; La Tête en friche, de Marie-Sabine Roger (France) ; et Le Travail de l’huître, de Jean Barbe (Canada).

Les résultats de l’édition 2009 seront proclamés le 28 septembre à Paris. Le prix sera remis le 24 octobre à Beyrouth.

mercredi 5 août 2009

« Le Jeune Homme de sable », de Williams Sassine


Ce n’est pas la Guinée – en tout cas ça n’est pas dit –, mais ça y ressemble fortement (du moins à celle d'avant 1984). L’histoire du Jeune Homme de sable (1979), de l’écrivain guinéen Williams Sassine, prend place dans un pays d’Afrique dirigé par un « Guide » tyrannique et paranoïaque – comment ne pas penser à Sékou Touré (1922-1984) ? Le roman met en scène un jeune homme, Oumarou, en révolte contre le pouvoir.

Poèmes litigieux, jets de mottes de terre sur un ambassadeur et autres rebuffades ont valu à Oumarou d’être plusieurs fois exclu de son lycée. « Heureusement », son père, député, a toujours été là pour rattraper ce qu’il croit être des erreurs de jeunesse, et trouver des boucs émissaires qui en payent le prix ; ses leçons empreintes d’une sagesse relative enjoignent son fils de revenir sur le bon chemin – celui de la soumission. Oumarou, lui, préfère les leçons particulières du proviseur du lycée, Tahirou, qui ne cache pas son opposition au « Guide », au « Lion »… ce qui lui vaudra d’être arrêté et mis en prison.

Le Jeune Homme de sable est imprégné d’une certaine léthargie, d’une chaleur étouffante, engourdissante, assommante, comme Oumarou est imprégné du vin qui l’aide à mener ses journées d’un bout à l’autre. Dictature et pauvreté : l’équation de l’impuissance. Comme dans un rêve, les personnages du roman semblent mus, ou plutôt paralysés, par une force supérieure à leur volonté ; comme dans le rêve halluciné d’Oumarou qui ouvre superbement le roman (allez savoir pourquoi, ce passage m’a fait penser à du Burroughs…). De cette atonie, Oumarou ne semble s’échapper que lorsqu’il entend, au plus frais de la nuit, Bandia, le vieux serviteur, jouer de la kora. Ou quand « la bête » qui est en lui se réveille, le poussant à se libérer de ses chaînes.

Et pendant ce temps, sous le soleil impitoyable, le désert gagne du terrain – symbole de la décadence qui ronge le pays (un peu comme la montagne de déchets imaginée plus tard, en 2006, par Ken Bugul dans La Pièce d’or). Les révoltes, les complots contre le tyran échouent. Mais dans ces échecs, dans ces ratés, il y a cependant l’espoir, mince et pur comme un filet de sable, que la jeune génération, consciente des errements, des erreurs, des hérésies de ses pères, ne les reproduira pas.

Roman difficile, à l’écriture riche et tout ce qu’il y a de moins linéaire, Le Jeune Homme de sable est à ranger parmi les classiques de la littérature africaine. Et malgré les années, le propos de Williams Sassine n’a pas pris une ride.

Le Jeune Homme de sable
de Williams Sassine
Présence africaine, 1979
218 p., 6,10 euros


D’autres chroniques du Jeune Homme de sable sur les blogs Chez Gangoueus et La Plume francophone.

lundi 3 août 2009

Gilbert Gatore


Gilbert Gatore est né en 1981 à Ruhengeri, au Rwanda. Dès l’âge de 8 ans, au gré des mouvements de la guerre civile qui pousse sa famille à déménager à plusieurs reprises, il tient un journal intime qui rend compte de ce vécu tourmenté. En 1994, avec sa famille, il quitte son pays ravagé par le génocide et se réfugie au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo). C’est le début d’un périple de plusieurs années, qui se terminera par la confiscation des carnets du jeune Gilbert par des douaniers zaïrois zélés.

En 1997, Gilbert Gatore s’installe en France. Longtemps, il tentera de reconstituer le texte disparu, puis y renoncera, et passera à autre chose : études à Sciences Po Lille, puis à HEC. Entre-temps naît sa vocation d’écrivain : il s’attelle à un premier roman, Le Passé devant soi, qui paraît en 2008 et obtient le Prix Ouest-France Etonnants Voyageurs. C’est le premier tome d’une trilogie intitulée Figures de la vie impossible.

En parallèle de son activité d’écrivain, Gilbert Gatore est entré, après ses études, dans une grande agence française de publicité pour y occuper un poste de commercial.

A lire :
Le Passé devant soi, Phébus, 2008

Photo © Getty Images

dimanche 2 août 2009

La disparition de l’Africaine à la cigarette


Vous souvenez-vous de l’affaire de la pipe de Jacques Tati, disparue des affiches faisant la promotion de l’exposition de la Cinémathèque française consacrée au réalisateur ? Si votre mémoire a besoin d’un petit rafraichissement, faites donc un tour sur la République des livres.

Comme le disait alors Pierre Assouline, « le principe de précaution a encore frappé ». Cette fois-ci non pas dans les couloirs du métro, mais sur les devantures des bureaux de presse et autres kiosques à journaux. Sur l’affiche de promotion du dernier numéro de Courrier International, dont j’évoquais récemment le dossier consacré à « l’Afrique telle qu’elle s’écrit », la cigarette a disparu du sourire doux et espiègle de la femme qui fait la « une » de l’hebdomadaire.

Ras-le-bol de cette aseptisation visuelle ! Tati sans sa pipe, ce n’était plus Tati ; cette « une » sans la clope n’a plus la même signification, la même portée. Certes, on ne sait pas qui est cette femme, tout ce qu’on sait, c’est qu’il s’agit d’une photo prise par Deborah Metsch à Accra, en 2001. Mais, ayant lu le dossier de Courrier International, j’avais personnellement mis cette photo en résonance avec l’article du romancier kényan Binyavanga Wainaina, intitulé « Ah, ces fantasmes de Blancs !».

L’article, lui-même très (trop ?) caricatural, parle de ces « écrivains et journalistes occidentaux qui, pour évoquer le continent, ne reculent devant aucun cliché » ; et qui se complaisent dans la description du supposé sous-développement économique, social et culturel de l’Afrique. Pour moi, cette photo d’une Africaine fumant est un pied-de-nez à ces clichés : image symbole d’une libération des mœurs – sans compter le petit air artistico-intellectuel que peut donner une cigarette, il faut bien l’avouer…

Bref, je ne connais pas les dessous de cette disparition – était-elle juridiquement obligatoire ou s’agit-il d’un abus de zèle d’un prude censeur ? –, mais je trouve cela dommage… et irrespectueux vis-à-vis de la photographe, dont je vous invite par ailleurs à visiter le site.

samedi 1 août 2009

« Le Passé devant soi », de Gilbert Gatore


Sur le génocide rwandais, j’avais déjà lu la trilogie des récits recueillis par Jean Hatzfeld (Dans le nu de la vie, Une saison de machettes et La Stratégie des antilopes, 2000 à 2007), ou encore l’essai de Patrick de Saint-Exupéry sur le rôle de la France dans cette tragédie (Complices de l’inavouable, 2009). Il y a un peu plus d’un an, lors d’un passage au quotidien en ligne Afrik.com, j’avais aussi lu La Méprise humanitaire (2007), une fiction écrite par le médecin Laurent Bucchini, que j’avais alors interviewé.

Le Passé devant soi (2008), de l’écrivain rwandais Gilbert Gatore, est d’une tout autre nature. Ce livre, écrit cette fois-ci non pas par un observateur extérieur mais par un réfugié du génocide, est moins de l’ordre du témoignage que du ressenti. Il dit – et le titre le signifie bien – la difficulté de vivre avec sur les épaules le poids de ce drame, avec ce passé dont on ne peut faire abstraction quand il s’agit d’envisager l’avenir – et ceci que l’on soit du côté des tueurs ou des rescapés, même si cela ne peut se manifester de la même façon chez les uns et chez les autres.

Le tueur. On découvre Niko à l’entrée d’une grotte dans laquelle il compte fuir son passé. Niko est muet, complètement muet, depuis le jour où il est sorti du ventre de sa mère. A l’intérieur, son esprit est un labyrinthe, son imagination un champ fertile. A l’extérieur, son corps est parfaitement sculpté, son visage l’est trop : comme un masque, dur et figé ; et son sourire fait froid dans le dos. Ce mutisme, ce masque, sont-ils ceux de la culpabilité ? Peut-être. Dans sa grotte, Niko sera bientôt l’otage de ses démons, venus à lui sous l’apparence de singes. A l’entrée pend la dépouille d’un des leurs… comme flotterait le fantôme du père abattu par son fils ? Difficile d’interpréter les symboles présents dans cette caverne où Platon ne retrouverait pas forcément ses petits… On devine des ombres ; tenter de les percer à jour est une autre affaire. Et à multiplier les hypothèses et les fausses pistes, on risquerait d’en dévoiler trop…

La rescapée. Isaro était encore une petite enfant au moment du génocide, dont elle a été sauvée par des expatriés français qui l’ont emmenée avec eux en France et l’ont adoptée. Devenue une belle étudiante parisienne, elle se rend compte de la vacuité de l’existence qu’elle mène un matin où, montant le volume de sa radio, elle entend une information sur la surpopulation carcérale au Rwanda ; quand elle en parle à ses camarades, elle ne trouve qu’indifférence et résignation. Isaro décide de retourner au Rwanda pour recueillir les témoignages des témoins, victimes et acteurs du génocide, afin que cette somme constitue une mémoire commune des Rwandais d’aujourd’hui.

Une mémoire commune ; un passé, sinon indifférencié, du moins partagé. A aucun moment dans le roman, j’y pense seulement maintenant, Gilbert Gatore ne mentionne les noms des ethnies à jamais associés au génocide – ni le nom du pays, d’ailleurs. Il y a simplement les « tueurs » et les « barbares ». Et parmi ces tueurs, Niko le muet, Niko le simple d’esprit, est la figure même de l’innocence… et pourtant il est indéniablement coupable, une culpabilité qui n’appelle aucun pardon.

Mais l’écrivain ne cherche pas à régler les comptes de son pays. La quête du roman est plus profonde : la difficulté de vivre avec « le passé devant soi », disais-je ; une difficulté qui confine à l’impossible. Car, finalement pessimiste, Gilbert Gatore ne semble voir aucune issue à ce malaise sans fond.

Le Passé devant soi
de Gilbert Gatore
Phébus, 2008
216 p., 18,50 euros