Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

samedi 23 octobre 2010

« Encres noires » entre officiellement en sommeil


Quatre mois que je n'ai rien publié sur ce blog...
Mon activité professionnelle s'étant quelque peu intensifiée, depuis six mois je manque de temps, non pour lire, mais pour écrire, et aussi pour suivre l'actualité de la littérature africaine. C'est donc officiel : « Encres noires » entre en sommeil pour une durée indéterminée.

Une bonne nouvelle cependant : on pourra me retrouver occasionnellement dans les pages de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique et sur son site internet. Pour commencer, voici une interview de Fatou Diome au sujet de son dernier roman, Celles qui attendent, et une chronique du nouveau livre de Mamadou Mahmoud N'Dongo, La Géométrie des variables.

mardi 22 juin 2010

« Le Piment des plus beaux jours », de Jérôme Nouhouaï


Une écriture pimentée comme les dialogues d'un album d'Aya de Yopougon, une intrigue lumineuse comme la lune sur les nuits agitées de Cotonou : Le Piment des plus beaux jours (2010), première oeuvre de l'écrivain béninois Jérôme Nouhouaï, est une belle surprise. Non, ce n'est pas le roman de l'année, mais cette fiction légère et bien emmenée tient en haleine et, sous une apparence de superficialité, brasse des enjeux plus profonds qu'il n'y paraît.

Nelson est étudiant en deuxième année de droit à l'université d'Abomey-Calavi, à quelques minutes de « zém » de la capitale. Il partage un deux-pièces avec deux camarades : Jojo, coureur de jupons invétéré qui ne pense qu'à ramener des filles au nez et à la barbe du propriétaire, et Malko, intellectuel panafricain très remonté contre les Libanais qu'il accuse d'exploiter, de piller, bref de parasiter le pays. Nelson, lui, songe à ses examens, de moins en moins, et à Josiane, l'intouchable fille d'un ex-ministre, de plus en plus...

Alors qu'à la fac il redouble d'audace pour séduire celle qu'il lui faut à tout prix posséder, celle à laquelle il adresse en pensées des poèmes enfiévrés où la grivoiserie le dispute au lyrisme, la radio distille de sombres nouvelles – une vague d'attentats s'abat sur la communauté libanaise du pays – et Malko se fait de plus en plus rare à l'appartement... Dans l'esprit de Nelson tourmenté par la belle Josiane, un lien de cause à effet se précise peu à peu et, décidément, les examens deviennent définitivement le cadet de ses soucis.

Plusieurs choses dans ce roman. Plaisant à lire, certes, et truffé de trouvailles linguistiques. Mais sur le fond aussi, Le Piment des plus beaux jours se révèle intéressant à plus d'un titre. D'abord, le message, explicite : Jérôme Nouhouaï met en garde contre la xénophobie latente au sein de la société béninoise et qui, insidieusement, gagne du terrain. Quand ce ne sont pas les Libanais qui en prennent pour leur grade, ce sont les Ibos venus du Nigeria voisin qui sont suspectés de tous les crimes et délits.

Second point qui a retenu mon attention : Le Piment des plus beaux jours met en scène avec une rare précision la classe moyenne qui émerge au sud du Sahara. A ma connaissance, peu de romans africains se sont autant inscrits dans le quotidien de cette partie de la population qui, dans chaque grande ville du continent, monte en puissance. Ce qui fait de ce livre une oeuvre résolument contemporaine, ancrée dans son époque, susceptible d'interpeller un large lectorat : chacun y trouvera des résonances avec son propre vécu.

De fait – et l'emploi de la première personne n'y est pas étranger –, on s'identifie très facilement à Nelson, étudiant plus ou moins insouciant qui ne cherche qu'à profiter de ses belles années, étudie le jour, fait la fête la nuit et travaille sur son temps libre pour arrondir les fins de mois. Avec cependant des enjeux bien spécifiques : tentation de l'Occident, émancipation des femmes, démocratisation du savoir... D'autres personnages interviennent, qui nuancent ou précisent les préoccupations, les désirs et les horizons de cette frange, pas encore dorée, plus tout à fait désargentée, de la jeunesse béninoise.

Le Piment des plus beaux jours
de Jérôme Nouhouaï
Le Serpent à plumes, 2010
338 p., 19 euros

lundi 14 juin 2010

Dinaw Mengestu


Dinaw Mengestu est né en 1978 à Addis-Abeba, en Ethiopie. Deux ans plus tard, sa famille quitte le pays, fuyant le régime dictatorial de Mengistu Haile Mariam, et part s'installer en banlieue de Chicago, aux Etats-Unis.

Après des études d'anglais à l'université de Georgetown (Washington), Dinaw Mengestu décroche un diplôme en littérature à l'université de Columbia (New York). Il devient alors professeur d'anglais à Georgetown, et travaillera également comme journaliste pour divers journaux : Harper's, The Wall Street Journal, Rolling Stone (avec notamment un reportage sur le Darfour)...

Les Belles Choses que porte le ciel, livre aux accents autobiographiques et sociaux publié en 2006, est son premier roman. En France, il a obtenu le prix du Roman étranger 2007.

A lire :
Les Belles Choses que porte le ciel, Albin Michel, 2007

Sources : Wikipedia, LeChoixDesLibraires.com

dimanche 13 juin 2010

Mort de Ferdinand Oyono


L'écrivain et homme politique camerounais Ferdinand Léopold Oyono a trouvé la mort, jeudi 10 juin à Yaoundé, à l'âge de 80 ans. Victime d'un malaise à l'issue d'une cérémonie officielle donnée en l'honneur du sécrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, au palais d'Etoudi, il s'est effondré devant la voiture qui devait le raccompagner chez lui et s'est éteint alors qu'on le transportait vers l'hôpital général.

Né en 1929 à Ebolowa, au Cameroun, Ferdinand Oyono s'est successivement distingué dans les domaines des lettres et des affaires publiques. Diplômé en droit à la Sorbonne et en diplomatie à l'Ecole nationale d'administration (ENA), après des études secondaires à Yaoundé et Provins, il se fait d'abord remarquer par son activité littéraire, avec trois romans publiés à la fin des années 1950, alors que la colonisation touche à sa fin.

Une vie de boy (1956), Le Vieux Nègre et la Médaille (1956) et Chemin d'Europe (1960), mettent en cause le système colonial en vigueur au Cameroun – et plus généralement en Afrique – : pratiques autoritaires de l'administration, manipulations des missionnaires, mépris vis-à-vis des colonisés... Son oeuvre, tour à tour drôle et grinçante, le place aux côtés des grands écrivains engagés de l'époque, tels Sembène Ousmane ou Mongo Béti, dont la démarche s'incrit dans une vision dynamique de l'histoire.

Une démarche volontariste que Ferdinand Oyono fera véritablement sienne en menant dès 1959 une brillante carrière de haut fonctionnaire au service du Cameroun : ambassadeur dans plusieurs pays ainsi qu'auprès de l'ONU à New York, puis ministre des Affaires étrangères et ministre de la Culture. Cette activité d'homme politique prendra le pas sur l'écriture jusqu'à la mort de Ferdinand Oyono, cinquante ans après la publication de Chemin d'Europe.

A lire :
Une vie de boy, Julliard, 1956
Le Vieux Nègre et la Médaille, Julliard, 1956
Chemin d'Europe, Julliard, 1960

Sources : Jeuneafrique.com, Africultures

mardi 25 mai 2010

« Les Belles Choses que porte le ciel », de Dinaw Mengestu


Encore un roman sur l'exil, me direz-vous. Oui, encore. Mais puisque l'exil est un puissant moteur littéraire et qu'il dit beaucoup sur la terre quittée et, surtout, sur ceux qui y sont nés et y restent attachés, ne boudons pas notre plaisir et accordons quelques lignes aux Belles Choses que porte le ciel (2006), de l'écrivain américain d'origine éthiopienne Dinaw Mengestu.

Car si Stéphanos, Joseph et Kenneth ont fui respectivement l'Ethiophie, le Congo et le Kenya pour les Etats-Unis, ce n'est pas pour le plaisir. Et ce n'est pas un hasard si, lorsqu'ils se retrouvent au comptoir de la petite épicerie de Stéphanos, leur jeu préféré est d'égréner la litanie des despotes qui ont marqué au fer rouge l'histoire du continent africain. En ce qui concerne Stéphanos, justement, c'est la révolution de 1974 et le régime militaire qui suivit qui l'ont poussé vers la capitale américaine. Il vit dans un quartier noir et déshérité de Washington, où d'anciennes maisons bourgeoises sont laissées à l'abandon autour de la statue du général Logan qui surplombe la boutique.

Jusqu'au jour où une femme et sa fille s'installent dans la maison voisine de celle où Stéphanos loue un modeste appartement. Il fera bientôt leur connaissance et une vraie complicité s'installera entre lui, Judith et la petite Naomi, enfant espiègle et sérieuse à la fois. Il n'en faudra pas plus pour qu'ils se prennent tous trois à faire le rêve, si proche et pourtant intangible, que Stéphanos traverse la rue et fonde avec elles, la mère célibataire et la petite fille métisse, un nouveau foyer. Mais il est difficile d'accepter le bonheur quand il se présente devant soi avec tant d'apparente facilité, et alors même qu'on a derrière soi tant d'invisibles chaînes qui empêchent d'avancer.

De fait, Stéphanos, tout comme Joseph et Kenneth, est comme suspendu dans le temps, figé dans un interminable automne. Il gère tant bien que mal sa petite épicerie, parce qu'il faut bien vivre et qu'elle lui offre tout de même une confortable indépendance, mais ne fonde aucun projet sur elle, pas plus que sur autre chose. Et il retourne parfois chez son oncle, qui l'avait accueilli à son arrivée d'Ethiopie, pour y réveiller les fantômes du passé. De même, ses deux amis nourissent des ambitions qu'ils semblent avoir peur d'atteindre. L'un a empilé les diplômes pour finalement se résoudre à singer son patron. L'autre se rêve poète et réécrit inlassablement le même vers tout en sachant qu'il n'en sera jamais satisfait.

Dans ce roman tout en douceur et en nuances – le roux des briques ou le fauve des feuilles mortes –, Dinaw Mengestu peint avec beaucoup de sensibilité un tableau de l'exil où les couleurs du passé et le flou du futur se fondent dans un présent monochrome, avec çà et là de fugaces et réconfortants éclats. A l'image de ce passage de La Divine Comédie, de Dante, qui, décrivant la sortie de l'Enfer, donne au livre son titre : « Par un pertuis rond je vis apparaître / Les belles choses que porte le ciel / Nous avançâmes et, une fois encore, vîmes les étoiles. »

Les Belles Choses que porte le ciel
Titre original : The Beautiful Things That Heaven Bears (2006)
de Dinaw Mengestu
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke
Albin Michel, 2007
303 p., 21,50 euros


Lire d'autres chroniques des Belles Choses que porte le ciel sur les blogs Chez AnnDeKerbu et Passion des livres.

lundi 24 mai 2010

Mongo Béti


Alexandre Biyidi Awala est né en 1932 à Akométam, à 60 km de Yaoundé, au Cameroun. Après des études primaires à l'école missionnaire de Mbalmayo, il passe son baccalauréat en 1951 à Yaoundé et part en France pour y poursuivre des études supérieures de lettres, d'abord à Aix-en-Provence, puis à la Sorbonne, à Paris.

C'est au cours de ces années d'études qu'il entame son parcours d'écrivain, avec pour commencer la publication d'une nouvelle, « Sans haine et sans amour », dans la revue Présence africaine, en 1953. L'année suivante, il publie sous le même pseudonyme, Eza Boto, Ville cruelle, son premier roman. Mais c'est en 1956 que la parution du Pauvre Christ de Bomba, désormais sous le nom de Mongo Béti, le fait dénitivement remarquer. Description féroce et satirique de la présence coloniale en Afrique, ce roman la tonalité de l'oeuvre de Mongo Béti : une lutte radicale pour la libération des peuples noirs et contre le néo-colonialisme.

Par la suite, Mongo Béti mène de front carrières d'écrivain et d'enseignant. Professeur de lettres de 1958 à 1994 dans différents lycées français (à Rambouillet, Lamballe et Rouen), il publie une dizaine d'ouvrages, romans polémiques et essais engagés. Parmi ceux-ci, Main basse sur le Cameroun (1972) est censuré en France pendant quatre années, sous la pression du gouvernement camerounais . En 1978, il fonde avec son épouse Odile Tobner (aujourd'hui présidente de l'association Survie) la revue Peuples noirs, Peuples africains, publiée jusqu'en 1991.

En 1994, Mongo Béti rentre au Cameroun après trente-deux années d'exil en France. A Yaoundé, il fonde la Librairie des Peuples noirs. Après la publication de trois nouveaux romans, il meurt à Douala en 2001.

A lire (romans) :
Ville cruelle, Présence africaine, 1954 (signé Eza Boto)
Le Pauvre Christ de Bomba, Laffont, 1956
Mission terminée, Buchet/Chastel, 1957
Le Roi miraculé, Buchet/Chastel, 1958
Perpétue ou l'Habitude du malheur, Buchet/Chastel, 1974
Remember Ruben, L'Harmattan, 1974
La Ruine cocasse d'un polichinelle, Peuples noirs, 1979
Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, Buchet/Chastel, 1983
La Revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, Buchet/Chastel, 1984
L'Histoire du fou, Julliard, 1994
Trop de soleil tue l'amour, Julliard, 1999
Branle-bas en noir et blanc, Julliard, 2001


Sources : Grioo.com, AuteursContemporains.info, Africultures, Peuples noirs-Peuples africains, Homnisphères.

dimanche 9 mai 2010

Florent Couao-Zotti lauréat du prix Ahmadou-Kourouma


Au fait, j'avais oublié de vous dire (je manque à tous mes devoirs). Fin avril, le salon de livre de Genève a décerné le prix Ahmadou-Kourouma 2010, un prix qui récompense chaque année un ouvrage, essai ou fiction, consacré à l’Afrique subsaharienne. Et c'est l'écrivain béninois Florent Couao-Zotti qui l'a remporté cette fois-ci, avec son polar Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire. Ci-dessous, le résumé du livre l'interview de son auteur sur TV5 devraient finir de convaincre ceux que le titre fait déjà saliver – et j'en fais partie.

Présentation de l'éditeur :
Il y a d'abord une miss, belle et longiligne, qu'on retrouve mutilée sur la berge de Cotonou. Il y a ensuite une autre galante, toute aussi irrésistible, qui vient proposer à un homme d'affaires libanais d'échanger de l'argent contre une valise de cocaïne. Il y a enfin un détective privé, contacté par une troisième chérie, qui voudrait un acquéreur pour la même poussière d'ange... Mais les nuits à Cotonou ont de multiples saveurs, qu'elles proviennent des fantômes teigneux, des amazones ou des populations elles-mêmes. Des gens qui aiment se rendre justice et charcuter au couteau tous ceux qui, dans leurs quartiers, sont surpris en flagrant délit de « pagaille nocturne ».

Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire
de Florent Couao-Zotti
Le Serpent à plumes, 2010
202 p., 16 euros






samedi 24 avril 2010

« Le Pauvre Christ de Bomba », de Mongo Béti


Je continue d'alterner classiques, nouveautés et « découvertes ». Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de l'écrivain camerounais Mongo Béti, est clairement à classer dans la première catégorie. C'est un pilier de la littérature africaine. Paru à la même époque que L'Enfant noir (1953), de Camara Laye, c'est-à-dire dans la décennie précédant les indépendances, ce roman décrit lui aussi la présence française en Afrique... mais avec un regard beaucoup plus acerbe. Les deux écrivains ne manqueront d'ailleurs pas d'afficher leurs désaccords sur ce point.

Dans Le Pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti entre dans le vif du sujet en s'attachant à suivre un missionnaire en tournée dans l'est du Cameroun. Provençal régissant d'une main de fer, depuis vingt ans, la mission de Bomba, le Révérend Père Supérieur Drumont – que tout le monde appelle simplement « RPS » – entreprend de rendre visite aux habitants du pays des Tala ; « ce royaume de Satan, ce vrai Sodome et Gomorrhe », dixit Denis, le boy-enfant de choeur qui l'accompagne et qui narre par le détail les péripéties de cette tournée. Il faut dire que le RPS, pour punir ces croyants aux moeurs païennes – avec, en tête, la polygamie –, ne les a pas « honorés » de sa présence trois années durant...

Le voilà donc qui, flanqué de Denis et de son cuisinier Zacharie, prend la route, à vélo, abandonnant pour un temps la mission et la « sixa » ou vivent et travaillent les femmes chrétiennes avant leur mariage. Le trio ira de déconvenue en déconvenue, le doute assaillera bientôt le RPS devant le peu de foi dont témoignent ses « fidèles ». Quant à Denis, adolescent fasciné par l'aura de sainteté qui, à ses yeux, émane du RPS, il découvrira des plaisirs qu'il n'est pas bon de confesser...

Ce qui frappe d'abord dans ce roman et le rend si captivant, c'est la force du personnage principal. Le RPS Drumont est un véritable héros littéraire, haut en couleurs, mais surtout en nuances... Mongo Béti nous prévient d'ailleurs dès le début, avec un certain cynisme : « De mémoire d'Africain, il n'y a jamais eu de Révérend Père Supérieur Drumont ; il n'y en aura probablement jamais, autant du moins que je connaisse mon Afrique natale : ce serait trop beau. » Car, on le découvre petit à petit, le RPS Drumont, que la foi rend parfois aveugle, n'en est pas moins une représentation idéale de l'humanisme occidental. Même quand il emploie la manière forte, il croit profondément oeuvrer pour le bien. Sévère et naïf, il refuse cependant que la construction d'une nouvelle route, en asservissant les indigènes pour leur plus grand malheur, contribue à les rapprocher de Dieu...

Autre personnage clé du roman, le cuisinier, Zacharie, est à mi-chemin entre l'ange gardien et la mauvaise conscience du RPS. Chrétien peu convaincu, incorrigible rossard, il s'enrichit – et séduit – sur le dos du RPS tout en bénéficiant de son indulgence. Le religieux ne semble d'ailleurs le conserver auprès de lui que pour son franc-parler : Zacharie ne prend pas de pincettes pour critiquer l'action du RPS, lequel, feignant de l'ignorer, en tire en fait de nombreuses instructions.

La tournée du RPS se solde par un cuisant échec, qui dépasse tout ce qu'il avait pu imaginer. Et sous la plume de Mongo Béti, cet échec est, plus que celui de l'évangélisation – aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne compte 57 % de chrétiens –, celui d'un colonialisme à bout de souffle, mélange de fausses bonnes intentions et d'asservissement, mission prétendument civilisatrice reposant sur le couple infernal de la carotte et du bâton. L'écrivain semble même pressentir les indépendances quand il met en scène un RPS abattu, désabusé, évoquant son possible retour en France après tant d'années passées à essayer de bâtir quelque chose en Afrique. Quelque chose dont, hélas pour lui, les autochtones ne veulent pas et qu'ils font mine d'accepter, sans y adhérer vraiment pour beaucoup d'entre eux, sachant que cela ne durera pas.

Le Pauvre Christ de Bomba
de Mongo Béti
Laffont, 1956
réédition Présence africaine, 349 p., 8,90 euros

jeudi 22 avril 2010

Les nouveautés du premier trimestre 2010


Au rythme d'un bouquin par mois,
je propose à qui voudrait s'initier à la littérature africaine (et antillaise) contemporaine de tenir jusqu'en avril 2011... (ça n'est pas mon programme de blogueur, simplement une suggestion de lectures). Voici en effet une sélection de 12 titres parus depuis le 1er janvier 2010. On y trouve des pointures (Emmanuel Dongala), des auteurs qui montent (Wilfried N'Sondé) et un petit nouveau (Jérôme Nouhouaï).

Notons que Gallimard est aux avant-postes, avec cinq oeuvres publiées dans sa collection « Continents noirs », parfois qualifiée de « ghetto » pour auteurs africains mais qui prouve ici son dynamisme. Suivie de près par Actes Sud et Le Serpent à plumes (trois livres chacun).


Anticorps
de Fabienne Kanor
(Martinique)
Gallimard, 2010
168 p., 15,90 euros


Présentation de l'éditeur :
« Il n'y a rien, dans mes mots, qui puisse s'inscrire dans ton programme, ce plan de fin de vie que tu as cru bon de fixer, qu'au fil des ans, patiemment, presque sournoisement, tu as échafaudé, à seule fin de t'en tirer. Où te figures-tu donc aller ? Combien de points vieillesse as-tu mis de côté ? » Après quarante ans de mariage, Louise se décide enfin à désobéir. L'histoire d'une liberté provisoire conquise au mépris des bonnes manières. Le bilan drôle et cruel de toute une vie de rébellions étouffées, porté par une écriture à poigne.


Le Corps rebelle d'Abigail Tansi
de Chris Abani
(Nigeria)
Albin Michel, 2010
160 p., 17 euros

Présentation de l'éditeur :
Hantée par le fantôme de sa mère morte en couches, Abigail, une adolescente nigériane dotée d’une force de caractère peu commune, est envoyée par son père à Londres chez des cousins. Mais loin d’y trouver la paix, elle plonge bien vite dans un enfer de solitude. Habile à mobiliser les pouvoirs attachés au spectre maternel pour survivre, elle va devoir payer sa résistance au prix fort… Tout à la fois lyrique et dépouillée, forgée aux rythmes et aux cadences de son pays natal, la prose de Chris Abani sublime l’expérience de la souffrance humaine en une méditation profonde sur la perte, l’abandon et la solitude. Par-delà la tragédie, Le Corps rebelle d’Abigail Tansi est un chef-d’oeuvre de poésie et de sensualité.


Le Diable dévot
de Libar M. Fofana
(Guinée)
Gallimard, 2010
186 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
Dans l'incapacité pécuniaire d'effectuer un pèlerinage à La Mecque, l'imam Galouwa craint d'être remplacé par un jeune hadji qui convoite sa place et ses privilèges. Un octogénaire lui propose le prix d'un billet d'avion en échange de sa fille Hèra, âgée de 13 ans. Vendre la chair de sa chair au diable pour conserver sa religieuse fonction ? Ce marché horrible ne plonge pas du tout Galouwa dans les affres d'un choix impossible. Le Diable dévot est un roman d'une rare et cruelle lucidité, une tranche de vie vraie coupée dans la peau d'une jeune fille pour la plus grande gloire de Dieu, diraient d'autres religieux dans une autre religion. Un déchirant sacrifice, une passion portée par une écriture cristalline à en émouvoir jusqu'à la pierre carrée de La Mecque.


Exils
de Nuruddin Farah
(Somalie)
Le Serpent à plumes, 2010
384 p., 23 euros


Présentation de l'éditeur :
Après vingt ans d'exil à New York, Jeebleh décide de retourner en Somalie, son pays. Au programme : trouver la tombe de sa mère et aider son ami d'enfance Bile à récupérer Raasta, sa fille enlevée. Mais quand il débarque à Mogadiscio, Jeebleh se rend compte que la situation a radicalement empiré. Les clans ont divisé le pays, les adolescents prennent les gens pour des cibles et les Américains ont la gâchette facile. La tâche de Jeebleh est complexe, d'autant qu'on se méfie de lui. A quel clan appartient-il aujourd'hui ? Dans ce monde chaotique où rien ni personne n'est ce qu'il paraît, où chaque mot peut être une bombe, la petite Raasta, nommée la Protégée, représente l'espoir. Ses mots, sa présence sont le seul réconfort de ce peuple de vautours gouverné par la peur.


L'Iguifou
de Scholastique Mukasonga
(Rwanda)
Gallimard, 2010
120 p., 13,50 euros


Présentation de l'éditeur :
L'Iguifou, c'est le ventre insatiable, la faim, qui tenaille les déplacés tutsi de Nyamata en proie à la famine et conduit Colomba aux portes lumineuses de la mort... Mais à Nyamata, il y a aussi la peur qui accompagne les enfants jusque sur les bancs de l'école et qui, bien loin du Rwanda, s'attache encore aux pas de l'exilée comme une ombre maléfique... Après le génocide, ne reste que la quête du deuil impossible, deuil désiré et refusé, car c'est auprès des morts qu'il faut puiser la force de survivre. L'écriture sereine de Scholastique Mukasonga, empreinte de poésie et d'humour, gravite inlassablement autour de l'indicible, l'astre noir du génocide.


Monsieur Ki
de Koffi Kwahulé
(Côte d'Ivoire)
Gallimard, 2010
145 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
« Toujours est-il que je ne me sens à l'aise qu'avec les Blancs racistes ; avec eux je suis confiant, je sais à quoi m'en tenir, je sais où je mets les pieds. (...) En revanche, je me méfie de ceux qui ont un ami sénégalais ou camerounais, les Monsieur-moi-je-connais-bien-les-Noirs, les Monsieur-moi-j'ai-passé-vingt-ans-en-Afrique, qui n'écoutent que Miles Davis ou Tiken Jah Fakoly, qui ne jurent que par la spontanéité et l'élégance naturelle des nègres. (...) Je ne mets pas en doute leur sincérité, mais ils me foutent mal à l'aise, c'est tout. » Voici un roman fou qui révèle, plus que les sages, notre monde, au premier, au deuxième, au trentième degré !... Roman-rhapsodie, Monsieur Ki chante et nous enchante pour caresser à rebrousse-poil notre temps...


L'Or des rivières
de Nimrod
(Tchad)
Actes Sud, 2010
125 p., 13 euros

Présentation de l'éditeur :
Revenant au pays comme chaque année pour visiter sa mère, Nimrod emprunte aux premières lueurs de l'aube les ruelles ocre de son quartier d'antan. Par-delà les années la vieille dame n'a pas bougé, et pour son fils exilé, voyageur lettré de passage en ce monde dont elle préserve l'intemporelle réalité, un sentiment soudain se précise : « C'est ma mère qui invente ce pays. » A partir de ce subtil hommage, Nimrod déploie, dans une succession de tableaux, des récits dans lesquels il réenchante les bonheurs passés et revient aux origines de son tempérament contemplatif, comme si dans l'enfance il percevait déjà l'inévitable départ et dès lors s'efforçait de préserver en lui un refuge aux dimensions de l'univers : la poésie est fille de mémoire.


Photo de groupe au bord du fleuve
d'Emmanuel Dongala
(Congo-Brazzaville)
Actes Sud, 2010
333 p., 22,80 euros


Présentation de l'éditeur :
Elles sont une quinzaine à casser des blocs de pierre dans une carrière au bord d'un fleuve africain. Elles viennent d'apprendre que la construction d'un aéroport a fait considérablement augmenter le prix du gravier, et elles ont décidé ensemble que le sac qu'elles cèdent aux intermédiaires coûterait désormais plus cher. Malgré des vies marquées par la pauvreté, la guerre, les violences sexuelles et domestiques, l'oppression au travail et dans la famille, les « casseuses de cailloux » découvrent la force collective et retrouvent l'espoir. Par sa description décapante des rapports de pouvoir dans une Afrique contemporaine dénuée de tout exotisme, Photo de groupe au bord du fleuve s'inscrit dans la plus belle tradition du roman social et humaniste, l'humour en plus.


Le Piment des plus beaux jours
de Jérôme Nouhouaï
(Bénin)
Le Serpent à plumes, 2010
338 p., 19 euros


Présentation de l'éditeur :
Nelson est un étudiant en deuxième année de droit. Il partage un deux-pièces avec deux autres étudiants : Jojo, sapeur, obsédé par les filles et l'argent, et Malcolm, intellectuel panafricain qui rumine de sombres pensées : les Libanais sont la gangrène du pays, explique-t-il, ils sont avides, racistes, sans foi ni loi. Un commerçant libanais est attaqué, battu. La boutique d'un autre incendiée. Un troisième est enlevé, retrouvé mort. Nelson soupçonne Malcolm, tandis qu'un groupe clandestin, le Calice noir, revendique les agressions contre des Libanais... Voici le cadre posé de ce premier roman foisonnant, avec pour question centrale : Où commence la xénophobie ? Un texte drôle, cruel et ironique. Une langue qui vaut le détour. Un portrait subtil et cru du Bénin d'aujourd'hui.


Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire
de Florent Couao-Zotti
(Bénin)
Le Serpent à plumes, 2010
202 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
Il y a d'abord une miss, belle et longiligne, qu'on retrouve mutilée sur la berge de Cotonou. Il y a ensuite une autre galante, toute aussi irrésistible, qui vient proposer à un homme d'affaires libanais d'échanger de l'argent contre une valise de cocaïne. Il y a enfin un détective privé, contacté par une troisième chérie, qui voudrait un acquéreur pour la même poussière d'ange... Mais les nuits à Cotonou ont de multiples saveurs, qu'elles proviennent des fantômes teigneux, des amazones ou des populations elles-mêmes. Des gens qui aiment se rendre justice et charcuter au couteau tous ceux qui, dans leurs quartiers, sont surpris en flagrant délit de « pagaille nocturne ».


Le Silence des esprits
de Wilfried N'Sondé
(France, Congo)
Actes Sud, 2010
170 p., 17 euros


Présentation de l'éditeur :
Terrorisé par un contrôle de police sur les quais de la gare de Lyon, Clovis Nzila vient de sauter dans un train de banlieue. Sans-papiers, clandestin, il s'assied au hasard d'un wagon surchauffé et tente de maîtriser sa peur. Face à lui, une femme l'observe, accepte en retour ses regards indiscrets, ne semble pas effrayée par sa triste apparence. Attentive, elle engage la conversation, perçoit le désespoir de ce jeune Africain... Ensemble, ils vont plonger sans retenue dans un mirage, convaincus de renaître des cendres du passé. Après Le Coeur des enfants léopards, un premier roman très remarqué, Wilfriel N'Sondé nous livre ici le récit d'une rencontre sur le mode d'une ballade sombre et lumineuse.


Ténèbres à midi
de Théo Ananissoh
(Togo)
Gallimard, 2010
138 p., 13,90 euros


Présentation de l'éditeur :
Eric Bamezon, conseiller à la présidence de la République, convie le narrateur, un soir, à dîner. On s'attend à une rencontre avec un homme satisfait de sa vie et heureux de sa réussite; on découvre, à mesure qu'avance la nuit, un être pris dans un piège aux motifs obscurs... Ténèbres à midi est un roman où percent une ironie et une lucidité rares ; c'est le récit épuré et sans concession d'une perception de soi et de ses origines. Au-delà d'une histoire située en Afrique, c'est une question ni caduque ni réservée aux autres que reprend ici l'auteur : comment se conduire en homme ou femme de conscience dans un temps de cruauté généralisée ?

mercredi 21 avril 2010

Karel Schoeman


Karel Schoeman (prononcer Skeuman) est né en 1939 à Trompsburg, dans l'Etat libre d'Orange, en Afrique du Sud. Après des études secondaires à Paarl, dans la province du Cap, il étudie la linguistique à l'université de Bloemfontein puis, converti au catholicisme, entre au séminaire à Pretoria. Après trois années de noviciat dans des monastères franciscains en Irlande, où il apprend le gaélique, il renonce finalement à prononcer ses voeux et, rentré en Afrique du Sud, obtient un diplôme supérieur de bibliothécaire.

Ce métier le mènera dans un premier temps aux Pays-Bas pendant cinq ans, puis de nouveau à Bloemfontein, et enfin au Cap, où il restera jusqu'à sa retraite, en 1999. Parallèlement à cette activité, Karel Schoeman se consacre à l'écriture et publie une dizaine de romans écrit en afrikaans. En France, ceux-ci sont petit à petit publiés, tardivement, chez Phébus. Il est aussi l'auteur de nouvelles, d'ouvrages historiques, de biographies et de traductions en afrikaans de divers textes gaéliques, allemands, russes, néerlandais et anglais.

Solidaire du combat des Noirs contre l'apartheid, Karel Schoeman a reçu en 1999, des mains de Nelson Mandela, l'Ordre du mérite, la plus haute distinction sud-africaine. Aujourd'hui, l'écrivain vit retiré dans un village perdu du veld. Ces romans, encore peu connus en France malgré le prix du Meilleur livre étranger attribué en 2009 à Cette vie, racontent une Afrique du Sud désenchantée et la solitude propre à la condition humaine.

A lire (en français) :
En étrange pays, Robert Laffont, 1991
La Saison des adieux, Phébus, 2004
Retour au pays bien-aimé, Phébus, 2006
Cette vie, Phébus, 2009

Sources : Rue des livres, Phébus, Wikipédia

lundi 19 avril 2010

Déjà un an, « Encres noires » fait le bilan


Avec un peu de retard,
je constate que le temps est venu pour moi de fêter le premier anniversaire de ce blog, et j'en profite pour faire un petit bilan... statistique. Pour ce qui est d'un bilan plus personnel, je dois dire qu'il n'est pas facile de s'astreindre à un rythme de publication soutenu et, ces dernières semaines, j'avoue avoir quelque peu décroché...

Depuis le 7 avril 2009, « Encres noires » a connu une fréquentation moyenne de 18,4 visiteurs uniques par jour. Ce qui n'est pas énorme... Mais il faut souligner que le nombre de visiteurs augmente au fur et à mesure que le blog s'enrichit de nouveaux articles : ainsi, sur les six derniers mois, la moyenne est de 24,5 visiteurs uniques par jour. Cependant, la fréquentation est aussi fonction de la fréquence de publication : ainsi, depuis le mois de janvier, le nombre de visiteurs stagne quelque peu...

Ces visiteurs viennent de 110 pays dans le monde, de l'Uruguay à l'Iran... Dans le top 10 qui suit, on retrouve sans surprise les principaux pays francophones, plus les Etats-Unis. Notons que cinq d'entre eux sont des pays africains (en rouge).

1. France
2. Canada
3. Etats-Unis
4. Sénégal
5. Belgique
6. Bénin
7. Burkina Faso
8. Suisse
9. Maroc
10. Côte d'Ivoire

Pour compléter ces indications géographiques sur la provenance des visiteurs, voici le top 10 des villes :

1. Paris
2. Dakar
3. Lyon
4. Cotonou
5. Toulouse
6. Abidjan
7. Ouagadougou
8. Nantes
9. Rennes
10. Bordeaux


Il est par ailleurs intéressant de voir quelles sont les chroniques de livres les plus consultées. Dans le top 5 qui suit, on remarque deux choses :

1) Les classiques de la littérature africaine, étudiés dans de nombreux pays africains, sont particulièrement sollicités – par les élèves ? C'est le cas des Bouts de bois de Dieu et de L'Enfant noir.

2) Les deux seuls essais dont il a été question sur ce blog, La Condition noire et Complices de l'inavouable, se placent en deuxième et troisième positions. De là à penser que la lecture d'essais est trop laborieuse pour ne pas se contenter d'un résumé lu sur internet, il y a un pas que je préfère ne pas franchir...




Top 5 des livres :
1. Les Bouts de bois de Dieu, de Sembène Ousmane
2. La Condition noire, de Pap Ndiaye
3. Complices de l'inavouable, de Patrick de Saint-Exupéry
4. L'Enfant noir, de Camara Laye
5. Black Bazar, d'Alain Mabanckou

Top 5 des auteurs :
1. Sembène Ousmane (Sénégal)
2. Amadou Hampâté Bâ (Mali)
3. Abdourahman Waberi (Djibouti)
4. Moussa Konaté (Mali)
5. André Brink (Afrique du Sud)

NB : Bien sûr, ce « palmarès » est quelque peu faussé par l'ancienneté des articles publiés, les publications les plus récentes ayant a priori été moins consultées que celles qui les précèdent.

lundi 5 avril 2010

« Cette vie », de Karel Schoeman


Austère. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit pour qualifier ce roman. Austère comme le veld sud-africain, battu par les vents, où paissent les moutons et scintillent des lacs, et que Karel Schoeman ne se lasse pas de décrire tout au long de Cette vie (1993), avec, bien souvent, les mêmes mots, le même regard : plateau immuable sur lequel seules les saisons ont prise. Austère, aussi, comme la vie des Afrikaners qui peuplent le Roggeveld au tournant du XIXème siècle : familles d'éleveurs taiseux qui ne quittent leur ferme que l'hiver, pour se rendre en transhumance dans la plaine du Karoo. Austère, enfin, comme la vie de celle qui raconte l'histoire, sa propre histoire : une vieille fille sur son lit de mort qui se remémore sa « drôle » d'existence. Par « drôle », comprendre « insensée » plutôt que « fantaisiste ».

Elle fut la benjamine d'une famille d'éleveurs de moutons, propriétaires terriens aisés par rapport au reste de la société clairsemée qui survivait sur le plateau : bergers journaliers, nomades de passage, domestiques. Au soir de sa vie, là voilà qui peine à trouver le sommeil dans une chambre de la maison construite par ses aïeux, où elle est née et a passé la quasi-totalité de sa vie. Dans le noir, des souvenirs, des bribes de souvenirs, l'assaillent, s'entrechoquent et, parfois, s'imbriquent miraculeusement. Elle ne peut alors s'empêcher de tenter de réunir les pièces du puzzle par lequel, peut-être, son existence révèlera son sens caché.

A partir d'éclairs jaillis d'un passé déjà lointain, elle essaie de dissiper les ombres, de percer les mystères sur lesquels ni les inscriptions gravées sur les pierres tombales de ses proches, ni les dates soigneusement reportées dans la Bible familiale, ne disent rien. Dans quelles circonstances son frère Jakob, dont on retrouva le corps dans une crevasse, a-t-il réellement trouvé la mort ? Qu'est-il advenu de son épouse Sofie, qui amena tant de joie dans la maison et disparut un beau jour, en même temps que son second frère Pieter ? Et pourquoi celui-ci revint-il des années plus tard, méconnaissable, hagard ?

Elle est celle à qui l'on n'expliquait jamais rien, celle qu'on ne voyait pas, celle qui ne parlait pas, celle qui se contentait d'observer et d'écouter, celle qui mourra sans personne pour la pleurer. Si transparente qu'elle n'a pour se souvenir quasiment aucune parole à elle adressée, seulement des chuchotements surpris derrière un rideau, les ricanements des domestiques, et des images encore floues, fugitives, auxquelles elle parvient peu à peu, à tâtons, à donner une signification.

Karel Schoeman nous parle ici d'une Afrique du Sud reculée, isolée, méconnue. A des centaines de kilomètres des lumières du Cap, à des dizaines d'années des enjeux de l'apartheid. Une sorte de far-west sud-africain où le passage d'une roulotte constitue le seul événement, la seule distraction apparente. Mais, derrière les volets clos des maisons, se trament des intrigues cachées, des jeux de pouvoir non avoués, des drames qu'il est de bon ton de taire.

Il faudra une vie entière à la narratrice pour comprendre tout cela. Et plus de 250 longues pages au lecteur pour prendre le temps de s'interroger sur son propre destin. Car le roman écrit par Karel Schoeman à l'âge de 53 ans ne manque pas de susciter cette angoisse, en forme de point d'interrogation, qui assaille tout homme à l'existence bien entamée : quand il ne reste de nous plus qu'un nom sur une stèle et quelques souvenirs dans les têtes, à quoi se résume une vie ?

Cette vie
Titre original : Hierdie Lewe (1993)
de Karel Schoeman
Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
Phébus, 2009
265 p., 21 euros

Lire d'autres chroniques de Cette vie sur les blogs Passion des livres et Ici Palabre.

samedi 20 mars 2010

Afrique : 50 ans d'indépendance, un siècle de littérature


Ces dernières semaines,
je n'ai pas eu beaucoup de temps à consacrer à ce blog, et la fréquence des billets publiés s'en est ressentie. Pour compenser, je me permets de vous renvoyer vers ce que des spécialistes de la littérature africaine écrivent bien mieux que moi : trois articles, signés de Tirthankar Chanda pour les deux premiers et de Jacques Chevrier pour le troisième, qui font dialoguer littérature noire et histoire de l'Afrique, alors que l'on célèbre en 2010 les 50 ans de l'indépendance de nombreux pays africains.

1) « Orphée débaîllonné : naissance de la littérature noire »

Dans ce premier article, Tirthankar Chanda, journaliste littéraire à RFI et professeur à Paris-VIII et à l'Inalco, s'intéresse à l'émergence de la « littérature nègre ». Si le Sénégalais Amadou Mapaté Diagne peut être considéré comme le premier écrivain africain, il faut souligner que son court récit, Les Trois Volontés de Malic (1920), reste très marqué par le genre du « roman colonial » et ne peut de ce fait prétendre représenter la littérature africaine.

L'acte de naissance de celle-ci vient un an plus tard, en 1921, avec la parution de Batouala, du Guyanais – autre paradoxe – René Maran, qui obtient le prix Goncourt malgré une préface très virulente à l'égard du système colonial : le « style nègre » était né, estimera Léopold Sédar Senghor, voyant en René Maran le « précurseur de la Négritude ». Le mouvement porté par Senghor, Césaire et Damas se développe dans les années 1930 et, après-guerre, se mêle, dans les oeuvres des nouveaux romanciers qui émergent alors, à des thématiques de contestation et de révolte contre le système colonial.

« Les années 1950 et 1960 représentent l'âge d'or du roman africain d'expression française, écrit Tirthankar Chanda, avec la publication des grands classiques » : L'Enfant noir (1953), de Camara Laye ; Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de Mongo Béti ; Les Bouts de bois de Dieu (1960), de Sembène Ousmane ; L'Aventure ambiguë (1961), de Cheikh Hamidou Kane.

Lire l'article sur RFI.fr


2) « Les indépendances au miroir des littératures africaines »

Après les indépendances, les écrivains africains retournent « l'engagement forgé dans le haut fourneau des combats coloniaux contre les nouveaux maîtres de l'Afrique », explique Tirthankar Chanda dans ce deuxième article, et dénoncent la corruption, la violence, le népotisme, les coups d'Etat, les dictatures...

C'est le cas notamment du Malien Yambo Ouologuem qui publie Le Devoir de violence (1968) et de l'Ivoirien Ahmadou Kourouma qui, dans Les Soleils des indépendances (1968 également), invente en outre une langue d'écriture métissée qui bouscule le français classique. Toute une génération de nouveaux écrivains s'inscrit par la suite dans l'héritage de Ouologuem et Kourouma, parmi lesquels Williams Sassine (Guinée), Tierno Monénembo (Guinée), Boubacar Boris Diop (Sénégal), Emmanuel Dongala (Congo), etc.

Autre vague, les écrivaines africaines font leur entrée sur la scène littéraire à partir de la fin des années 1970 : d'abord avec la Sénégalaise Mariama Bâ (Une si longue lettre, 1979), puis avec Aminata Sow Fall (Sénégal), Ken Bugul (Sénégal), Véronique Tadjo (Côte d'Ivoire) ou Calixthe Beyala (Cameroun).

Enfin, une quatrième génération, transcontinentale voire universaliste, émerge dans les années 1990-2000 et se détache de l'Afrique comme unique thématique : ses principaux porte-parole s'appellent Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Kossi Efoui, Kangni Alem, Fatou Diome, etc.

Lire l'article sur RFI.fr


3) « Cinquante ans de littérature africaine subsaharienne »

Dans ce troisième article, Jacques Chevrier, grand spécialiste des lettres africaines, professeur à la Sorbonne et auteur, entre autres, de l'ouvrage de référence Littérature nègre (1974), revient sur les thèmes abordés ci-dessus. Il rappelle que le fait littéraire est déjà présent en Afrique bien avant les indépendances, au travers notamment de la pensée de la Négritude.

Il insiste sur le tournant que prend la littérature africaine en 1968, avec la publication du Devoir de violence, de Yambo Ouologuem, qui « fait voler en éclats le mythe de la grande fraternité nègre », et des Soleils des indépendances, d'Ahmadou Kourouma, qui « inaugure, sur le mode la dérision, la veine des récits du désenchantement post-colonial » et « apporte la preuve qu'un écrivain africain peut couler son écriture dans le moule d'une pratique langagière autre » que le français. Une rupture dans l'écriture que le Congolais Sony Labou Tansi portera à son apogée dans La Vie et demie, en 1979 ; une déconstruction du récit qu'on retrouve aussi chez Boubacar Boris Diop, Kossi Efoui et Abdourahman Waberi.

Jacques Chevrier évoque également des auteurs socialement engagés : Mariama Bâ, Were Were Liking, Calixthe Beyala, Tanella Boni ou Véronique Tadjo, chez les écrivaines, engagent une « guerilla féministe » ou bien disent « le mal-être engendré par l'univers urbain », avec parfois un recours au « carnavalesque » que l'on retrouve par ailleurs chez Sony Labou Tansi, Florent Couao-Zotti ou Williams Sassine. Cette « violence scripturaire » est aussi mise au service d'une « écriture de la guerre » qui aborde les conflits inter-ethniques en Sierra-Leone, au Liberia ou au Congo (Ahmadou Kourouma, Emmanuel Dongala), sans oublier le génocide rwandais (Boubacar Boris Diop, Véronique Tadjo, Abdourahman Waberi, Tierno Monénembo).

Enfin, l'auteur de l'article s'intéresse, en Europe, au courant qualifié de « littérature de banlieue », mené par des écrivains nés dans les années 1970, tels que Mamadou Mahmoud N'Dongo. Ces écrivains, avec les nombreux autres qui « évoluent entre plusieurs pays, plusieurs langues et plusieurs cultures », dessinent un nouveau courant, celui de la « Migritude », où ils se définissent d'abord comme écrivains, accessoirement comme nègres.

Lire l'article sur Cultures Sud

samedi 13 mars 2010

« Trois femmes puissantes », de Marie Ndiaye


Je déroge une nouvelle fois à la ligne éditoriale de ce blog, laquelle voudrait que je ne parle que de livres écrits par des auteurs africains (ou antillais). Certes, l’écrivaine française Marie Ndiaye, malgré son nom, n’a de sénégalais que son ascendance paternelle et n’a pas passé, au cours de sa vie, plus de quelques semaines en Afrique. Mais, d’une part, son dernier roman, Trois femmes puissantes (Gallimard), se situe pour une large part en Afrique (Dakar n’est jamais cité mais les noms des quartiers, entre autres, sont sans équivoque) ; et, d’autre part, le prix Goncourt 2009 – un prix largement mérité, autant le dire tout de suite – valait bien cette « entorse au règlement ».

Comme son nom l’indique, Trois femmes puissantes raconte les histoires, si éloignées l’une de l’autre et qui pourtant se croisent par d’infimes détails que le lecteur prendra plaisir à découvrir, de trois femmes « qui disent non », écrit l’éditeur. Elles s’appellent Norah, Fanta et Khady et, si elles sont « puissantes », c’est avant tout par leur attitude résolue plus que volontaire face à la vie : campées dans leurs existences respectives, alors que le monde bouge, s’effondre parfois, elles apparaissent comme des rocs immuables que les aléas de la vie et les gestes de leur entourage peinent à effriter. Mais commençons par les présenter.

Norah. C’est peut-être la « femme puissante » qui ressemble le plus à Marie Ndiaye. Après avoir passé une partie de son enfance au Sénégal, Norah a suivi sa mère en France, où elle a grandi et réussi – elle est devenue avocate, mère d’une petite fille et concubine d’un drôle d’Allemand. A 40 ans, voilà que son père, resté à Dakar et avec qui elle n’a guère plus de liens, lui demande de venir sans lui en préciser le pourquoi. Elle comprendra plus tard qu’il s’agit de faire libérer son frère, Sony, de la prison de Reubeuss où il croupit pour des raisons qu’il lui faudra démêler… Norah est peut-être aussi la plus fragile de ces « femmes puissantes ». Sûre d’elle-même à son arrivée, pleine de certitudes quant à la manière de mener sa vie et celle des autres, elle devra petit à petit, confrontée à l’ombre terrible du père et à ses angoisses finalement révélées, revoir ses jugements, laisser le doute s’insinuer en elle, accepter de ne pas tout contrôler.

Fanta. Fanta n’est une « femme puissante » que par son omniprésence figée, fichée dans l’esprit de son compagnon, Rudy Descas. D’ailleurs, à aucun moment elle n’apparaît en tant que personnage en chair et en os dans le roman. Marie Ndiaye se concentre plutôt sur le tourmenté Rudy, vendeur de cuisines dans la campagne girondine. Lui et Fanta se sont connus dans un collège de Dakar où ils étaient professeurs. Un incident les a poussés à venir s’installer en France, pour le meilleur et pour le pire… Depuis, Fanta attend dans leur pavillon que leur fils rentre de l’école, tandis que Rudy culpabilise, se morfond, ressasse l’histoire familiale qui les a emmenés ici et se résigne, malgré lui, à cette vie qu’ils n’ont pas vraiment choisie.

Khady. « Khady Demba », ce nom, c’est sa force, c’est tout ce qu’elle a. Pas de famille : ses parents l’ont fait élever par sa grand-mère, morte depuis longtemps. Pas de mari : son homme est mort après trois ans de mariage. Pas de travail : après la mort de son mari, le propriétaire de la buvette où ils travaillaient l’a mise à la porte pour y installer un autre couple. Pas d’enfant : son mari est mort avant d’avoir pu lui en donner un, elle en avait pourtant tellement envie. Désormais, Khady vit une existence effacée chez ses beaux-parents, où elle participe aux tâches de la maisonnée, un point c’est tout. Jusqu’au jour où ceux-ci décident de l’envoyer en France, chez une cousine : ce sera une bouche de moins à nourrir et peut-être pourra-t-elle envoyer de l’argent ? Toujours passive, Khady accepte le destin que d’autres tracent pour elle, « Khady Demba ». Mais, une nuit, à peine embarquée dans une pirogue bondée, elle prend sa vie en main pour la première fois, et saute à terre…

Marie Ndiaye prend son temps pour nous décrire les états d’âmes qui agitent ces personnages. Des phrases longues, léchées, qui nous plongent dans l’esprit de Norah, Rudy et Khady, au gré du cheminement de leurs pensées, des tâtonnements de leurs jugements, des atermoiements de leurs tourments. La comparaison est peut-être osée mais, personnellement, cette écriture m'a rappelé Julien Gracq. Avec une touche surnaturelle en plus, que l'on trouve par ailleurs dans d'autres œuvres de Marie Ndiaye (en l'occurrence, je pense aux fantômes d'Un temps de saison, 1994).

Au bout du compte, l’on se rend compte que c’est le thème de l’incommunicabilité qui est au cœur de ce roman avare de dialogues, et que les « trois femmes puissantes » de Marie Ndiaye ne sont fortes que parce qu’enfermées dans leur for intérieur. C’est finalement aussi leur faiblesse. Norah n’arrive pas à parler avec ses proches et à se réconcilier avec sa propre histoire ; Fanta ne sait pas libérer, décomplexer l’amour que Rudy lui porte ; Khady, ignorée des autres, les ignore en fait tout autant, focalisée qu’elle est sur elle-même, « Khady Demba ».

Trois femmes puissantes
de Marie Ndiaye
Gallimard, 2009
317 p., 19 euros


Marie Ndiaye est née en 1967 à Pithiviers, dans le Loiret, d'un père sénégalais et d'une mère française. Auteure précoce, elle est repérée par Jérôme Lindon, des éditions de Minuit, qui publie son premier roman, Quant au riche avenir, en 1985. Suivront de nombreux romans (environ un tous les deux ans), dont Rosie Carpe (2001), qui obtient le prix Femina, et Trois femmes puissantes (2009), qui lui apporte la consécration avec le prix Goncourt. Marie Ndiaye est également l'auteure de plusieurs pièces de théâtre. Son frère, Pap Ndiaye, est historien et auteur de La Condition noire.

Lire aussi : Marie Ndiaye, René Maran : les « scandales » du prix Goncourt

Lire d'autres chroniques de Trois femmes puissantes sur les blogs Biblioblog, Pages à pages, Le Globe-Lecteur et Chez Gangoueus.

mercredi 24 février 2010

Camara Laye


Camara Laye est né en 1928 à Kouroussa, dans l'actuelle Guinée, alors colonie française. Son père, forgeron malinké réputé, encourage le jeune Laye à suivre des études à l'école française (notons d'ailleurs que, comme Sembène Ousmane, Camara Laye a inversé ses nom et prénom, fidèle en cela à la tradition scolaire française) et, bientôt, une fois obtenu son certificat d'études, le jeune garçon quitte Kouroussa pour la capitale Conakry, où il suit l'enseignement technique de l'école Georges-Poiret. Il y décroche un CAP de mécanicien et, en 1947, part pour la France en vue d'y devenir ingénieur. Il subsiste alors de petits boulots aux Halles puis à l'usine Simca.

C'est là qu'il se met à l'écriture et, dès 1953, paraît son premier roman, très autobiographique, L'Enfant noir, dans lequel il évoque son enfance guinéenne. Ce roman fut très apprécié en France mais, dans l'Afrique des combats anticoloniaux, on lui reprocha parfois d'avoir donné une image excessivement bienveillante de l'Afrique coloniale. Cela n'empêcha pas Camara Laye de publier l'année suivante Le Regard du roi, récit allégorique et initiatique dont le héros, un Blanc rejeté par ses compatriotes, tente d'accéder à la sagesse profonde de l'Afrique.

En 1956, Camara Laye retourne en Afrique, au Dahomey puis au Ghana où il enseigne et se lie d'amitié avec Kwame Nkrumah. En 1958, la Guinée obtient son indépendance et Camara Laye en devient l'ambassadeur au Ghana. Par la suite, il exerce aussi des fonctions importantes au ministère de l'Information, avant de prendre ses distances avec le régime d'Ahmed Sékou Touré dont il dénonce la dérive dictatoriale dans Dramouss (1966).

Camara Laye s'exile alors à Dakar, où il travaille à l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN). Comme Amadou Hampâté Bâ quelques années plus tôt (l'œuvre et le parcours des deux auteurs ne sont d'ailleurs pas sans points communs), il y mène des recherches sur les traditions orales., qui déboucheront sur la publication de son dernier roman, Le Maître de la parole (1978), transcription des récits oraux sur l'empereur mandingue Soundjata Keïta (1190-1255). Camara Laye meurt à Dakar en 1920, alors qu'il travaillait à une biographie du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.

A lire :
L'Enfant noir, Plon, 1953
Le Regard du roi, Plon, 1954
Dramouss, Plon, 1966
Le Maître de la parole, Plon, 1978


Sources : Camara-Laye.com, Valérie Thiers-Thiam

jeudi 4 février 2010

« L’Enfant noir », de Camara Laye


C’est clairement un classique de la littérature africaine et le reflet d’une époque. Celle qui précède les indépendances, puisque L’Enfant noir, de l’écrivain guinéen Camara Laye, est paru en 1953, soit cinq ans avant le référendum par lequel la Guinée s’émancipera de la France coloniale. Mais ce roman n’a probablement jamais prétendu à un tel statut. Il décrit avec beaucoup de simplicité et d’humilité l’enfance de son auteur, de Kouroussa où il est né à Conakry où il a étudié, avant de s’envoler pour la France…

Un classique, disais-je. Au même titre qu’Amkoullel, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ, auquel on ne peut s’empêcher de penser en lisant ces « mémoires » qui ne disent pas leur nom. Les deux auteurs témoignent dans ces livres des mutations et bouleversements qui ont marqué l’Afrique au temps de la colonisation ; sans prendre parti, sans pointer du doigt ni forcer le trait ; simplement en racontant leur propre histoire. Mais, et c’est mon second point, ils ne le font pas à la même époque : alors que les mémoires d’Amadou Hampâté Bâ sont parues en 1991, après la mort de l’écrivain, L’Enfant noir est publié alors que Camara Laye n’a que 25 ans… D’où une certaine naïveté, et surtout l’absence relative de recul sur ce qu’il décrit, en comparaison d’Hampâté Bâ, pour lequel beaucoup d’eau avait alors coulé sous les ponts jetés par la France sur le fleuve Niger…

En fait, à la lecture de L’Enfant noir, on s’aperçoit vite que ce roman a été écrit pour un lectorat européen, plus précisément français – et c’est en cela qu’il reflète son époque. A ce lectorat, Camara Laye décrit, de l’intérieur, avec ses yeux d’enfants et ses mots d’adultes, les traditions d’une famille africaine de Kouroussa ; des traditions qu’il sent, avec beaucoup de lucidité, en passe de disparaître. Car le jeune garçon lui-même comprend très tôt qu’il ne suivra pas les traces de son père, forgeron réputé, et qu’il ne percera jamais les secrets qu’il perçoit seulement dans ce monde des grands peuplé de grigris et de pouvoirs, transmis de génération en génération, qu’il constate mais peine à expliquer.

De fait, le jeune Laye est appelé à suivre un autre chemin, autrement « rationnel » : celui de l’école des Blancs, sur lequel il réussit brillamment. Encouragé par son père, qui a compris lui aussi que le monde change inéluctablement ; moins par sa mère, qui aimerait le garder auprès d’elle mais ne peut qu’assister, impuissante, à son éloignement de la société traditionnelle. De cette dernière, Laye passe cependant, avec une fierté teintée d’appréhension, le rituel le plus important, celui de la circoncision, qui consacre son passage à l’âge d’homme. Mais c’est précisément à cet âge, 15 ans, que le jeune homme, partagé entre excitation et tristesse, prend le train pour Conakry afin d’y poursuivre ses études. Plus tard, ce sera l’avion, et la France…

L’Enfant noir
de Camara Laye
Plon, 1953
en édition Pocket, 221 p., 3,90 euros

Lire une autre chronique de L’Enfant noir sur Ballades et escales en littérature africaine.

lundi 1 février 2010

Dany Laferrière


Dany Laferrière est née en 1953 à Port-au-Prince, capitale d’Haïti. Il est le fils de Windsor Klébert Laferrière, qui fut maire de Port-au-Prince puis sous-secrétaire d’Etat au commerce et à l’industrie avant d’être chassé de l’île par François Duvalier, alias Papa Doc. Par peur de représailles, sa mère, Marie Nelson, l’envoie, vers 4 ans, vivre chez sa grand-mère Da, à Petit-Goâve. Windsor, Marie et Da seront des personnages marquants de l’œuvre d’inspiration autobiographique de Dany Laferrière.

A 11 ans, il retourne vivre avec sa mère à Port-au-Prince, où il fait ses études secondaires. Il devient ensuite chroniqueur culturel à l’hebdomadaire Le Petit Samedi Soir et à Radio Haïti-Inter. En 1976, son ami journaliste Gasner Raymond, alors âgé de 23 ans comme lui, est assassiné par les « tontons macoutes » de Jean-Claude Duvalier, alias Bébé Doc. Dany Laferrière quitte alors précipitamment Haïti pour Montréal, au Canada.

Il publie son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, en 1985 : le livre est salué par la critique et ouvre la voie à neuf autres romans qui constitueront « l’autobiographie américaine » de Dany Laferrière, entre Montréal, New York et Miami, où l’auteur s’installe de 1990 à 2002. Parallèlement à son activité d’écrivain prolifique, il se consacre à l’écriture de scénarios inspirés de ses romans : Comment faire l’amour à un nègre…, Le Goût des jeunes filles et Vers le sud sont ainsi adaptés au cinéma.

Aujourd’hui, Dany Laferrière est chroniqueur sur Radio Canada et codirige avec Lyonel Trouillot le festival des Etonnants Voyageurs en Haïti. L’écrivain a reçu de nombreux prix littéraires, mais c’est avec L’Enigme du retour, récompensée du prix Médicis en 2009, qu’est venue la consécration, notamment aux yeux du public français.

Lire aussi l’échange entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot : « Paroles d’écrivains haïtiens »

A lire :
Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, éd. de l’Homme, 1985
Eroshima, VLB, 1987
L’Odeur du café, éd. de l’Homme, 1992
Le Goût des jeunes filles, éd. de l’Homme, 1993
Chronique de la dérive douce, VLB, 1994
Cette grenade dans la main du nègre est-elle arme ou fruit ?, éd. du Jour, 1993
Pays sans chapeau, Le Serpent à plumes, 1993
La Chair du maître, éd. de l’Homme, 1997
Le Charme des après-midis sans fin, Le Serpent à plumes, 1998
Le Cri des oiseaux fous, Le Serpent à plumes, 2002
Les Années 80 dans ma vieille Ford, Mémoire d’encrier, 2005
Vers le sud, Grasset, 2006
Je suis un écrivain japonais, Grasset, 2008
L’Enigme du retour, Grasset, 2009

Sources : Etonnants Voyageurs, Auteurs.Contemporain.info, Wikipedia

lundi 25 janvier 2010

Séisme en Haïti : Le festival des Etonnants Voyageurs aura bien lieu


En décembre 2007, l’incontournable festival international du livre et du film de Saint-Malo s’était délocalisé à Port-au-Prince pour une première édition d’Etonnants Voyageurs en Haïti. La seconde édition aurait dû s’ouvrir le 14 janvier dernier, soit deux jours après le tremblement de terre qui a fait, selon un nouveau bilan provisoire, 150 000 morts. Parmi ceux-ci, l’écrivain et géographe haïtien Georges Anglade et sa femme Mireille. Il faisait partie des auteurs invités par les Etonnants Voyageurs.

Place au deuil, à la survie et à la reconstruction. A Port-au-Prince, le festival dirigé par Dany Laferrière et Lyonel Trouillot a naturellement été annulé. Mais, « parce qu’il n’est pas possible de rester sur ces images de destruction », les organisateurs ont décidé de transporter Etonnants Voyageurs en Haïti… à Saint-Malo, du 22 au 24 mai, afin que « tous les auteurs haïtiens réunis y affirment haut et fort la vitalité de la création artistique de leur île ». Haïti s’ajoutera ainsi aux thèmes déjà prévus pour l’édition 2010 du festival, à savoir : la Russie, l’Inde et les indépendances africaines.

Rendez-vous est donc pris. En attendant, de manière plus symbolique, les animateurs d’émissions littéraires de France 5 – François Busnel, Patrick Poivre d’Arvor et Daniel Picouly – se mobilisent pour présenter un numéro spécial de « La Grande Librairie » consacré à Haïti. L’émission sera diffusée sur France 5, France Ô et TV5 Monde le jeudi 28 janvier à partir de 20h35.

Plus d’infos sur le site des Etonnants Voyageurs.

vendredi 22 janvier 2010

Séisme en Haïti : Lyonel Trouillot dans « Le Monde Magazine »


Après le terrible tremblement de terre du 12 janvier, Port-au-Prince, mais aussi Léogane, Petit-Goâve, Jacmel, sont des amas de décombres. Haïti compte ses morts – au moins 75 000 à ce jour, 250 000 blessés et 1 million de sans-abri – et, avec le soutien de l’aide internationale, tente de parer au plus pressé : distribution de nourriture, d’eau, de soins. Tant bien que mal, les Haïtiens font le deuil de leurs proches, maudissent la terre et ses soubresauts, remercient le ciel d’avoir survécu à la catastrophe.

L'écrivain haïtien Lyonel Trouillot, qui était à Port-au-Prince lors du séisme, fait partie de ces « survivants », qui « s’étonnent de pouvoir encore parler, bouger, pleurer, sourire », et dont il salue le courage et l’intelligence dans un texte, « La mort est montée de la terre », à paraître dans Le Monde Magazine de ce week-end (en vente dès aujourd'hui). Sur six pages habillées de photos de Carolyn Cole, l’auteur de Yanvalou pour Charlie (Actes Sud, 2009) décrit un Port-au-Prince sonné mais pas anéanti, désemparé mais pas résigné. Une parole bienvenue face au discours fataliste d’une prétendue « malédiction ».

Le Monde Magazine n°19
Supplément au Monde du samedi 23 janvier
2,50 euros


dimanche 17 janvier 2010

« A Love Supreme » au théâtre, à Paris


Encore du théâtre ! Et en musique s’il vous plaît ! Je m’en rends compte un peu tard, les représentations ont commencé le 7 janvier, mais il reste encore une semaine pour aller voir la compagnie Ultima Chamada jouer A Love Supreme, au théâtre du Grand Parquet (Paris-18ème).

Cette pièce, créée en 2006 et mise en scène par Luc Clémentin, est l’adaptation de la nouvelle éponyme parue en 1982 dans Jazz et Vin de palme. Dans ce livre, l’écrivain congolais Emmanuel Dongala glissait de Brazzaville à New York, de la farce révolutionnaire à la virée underground, jusqu’à, pour finir, ce A Love Supreme, titre d’un morceau de jazz mythique et, en l’occurrence, hommage à son créateur, le saxophoniste John Coltrane.

Le soir de la mort de ce jazzman de génie, le 17 juillet 1967, le patron d’un club de jazz ne peut s’empêcher de se remémorer et de raconter sa rencontre avec « J. C. », des années plus tôt. Telle est la trame de cette pièce où le comédien (Adama Adepoju) est accompagné de trois musiciens : un batteur, un contrebassiste… et un saxophoniste, bien sûr.

Amateurs de Coltrane et de Dongala, ne pas s'abstenir !





Jusqu’au 24 janvier, au Grand Parquet
Jeudi, vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 18 heures
20 bis, rue du Département, Paris-18ème

De 5 à 13 euros

Plus d’infos sur le site de la compagnie Ultima Chamada ou sur le site du Grand Parquet.

A lire :
Jazz et Vin de palme
d’Emmanuel Dongala
Hatier, 1982
Edition de poche : Le Serpent à plumes, coll. Motifs,
205 p., 5,80 euros

mardi 12 janvier 2010

« Les Bouts de bois de Dieu » au théâtre, à Bagneux


Pour ceux qui ont aimé les adaptations au théâtre de Vie et enseignement de Tierno Bokar (Amadou Hampâté Bâ), de Allah n’est pas obligé (Ahmadou Kourouma) ou encore de Verre Cassé (Alain Mabanckou), un rendez-vous à ne pas manquer : vendredi 15 janvier, la Boyokani Kyeseli Company donne une nouvelle représentation des Bouts de bois de Dieu, une pièce de Hugues Serge Limbvani d’après le roman éponyme de l’écrivain sénégalais Sembène Ousmane. Cela se passe au théâtre Victor-Hugo, à Bagneux (Hauts-de-Seine).

Ce classique de la littérature africaine a été inspiré par un fait réel : la grève des cheminots de la ligne Dakar-Niger en 1947. Conçue comme un film retraçant la vie des héros de la plus longue grève que l’Afrique ait jamais connue, la pièce est une partition dont le personnage Grève – une sorte de griot –, les femmes et les grévistes eux-mêmes scandent les épisodes.

Pour un résumé plus « vécu » de ce spectacle, faites donc un tour chez Gangoueus.

Vendredi 15 janvier, 20 h 30, au théâtre Victor-Hugo
14, avenue Victor-Hugo, Bagneux (Hauts-de-Seine)
De 11 à 17 euros
Plus de détails ici.